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Xavier Vanneste  : Zot mais pas fou, cet entrepreneur

Il était une fois une brasserie endormie, dont les origines remontaient à 1856. Elle éveille l’intérêt de Xavier Vanneste qui, en 20 ans, écrit une success story improbable ponctuée d’audace, d’authenticité et, bien sûr, de malt et de houblon. Jamais de verre à moitié vide chez De Halve Maan.  

« Je n’ai pas de préférence pour une bière en particulier », indique Xavier Vanneste en riant. « Tout dépend du moment et des circonstances, mais j’aime la bière, aucun doute là-dessus. » Sa réponse, tout en diplomatie, ne laisse rien transparaître de la détermination qui l’habite. En 2005, il surprend ses amis et ennemis, mais surtout sa famille, en ressuscitant la brasserie De Halve Maan. La nouvelle bière qu’il lance est appelée à devenir le catalyseur d’une croissance qui frappe l’imagination.   

Avant toute chose, un retour à la Walplein, au cœur du centre historique de Bruges, s’impose. Ce quartier transpire l’histoire avec ses rues pavées et ses édifices du Moyen-Âge. C’est le berceau de l’une des brasseries les plus anciennes et les plus emblématiques de Belgique. Si l’entreprise familiale plonge ses racines en 1856, il semble qu’une brasserie ait déjà été active à cet endroit au 15e siècle. « Nous ne connaissons pas la date exacte de la fondation de l’entreprise familiale, mais nous avons connaissance d’une activité brassicole ici même sur la Walplein dès les 15e et 16e siècles. »   

« Brugse Zot »  

Xavier Vanneste naît en 1980 dans une famille dont la vie quotidienne est rythmée par la bière et le brassage. Toute son enfance, il baigne dans les histoires de ses ancêtres qui ont tenu les rênes de la brasserie dans les bons et les mauvais moments. Parmi eux, Henri Maes, dont sa mère, Veronique Maes, est une descendante. C’est lui qui relance la brasserie située au cœur de Bruges et assure son essor au 19e siècle. Il jette ainsi les bases de ce qui deviendra une dynastie brassicole. De Halve Maan a survécu à deux guerres, mais aussi à des dépressions économiques et des changements sur le marché de la bière. Cette entreprise familiale dans l’âme a dû se réinventer pour ne pas disparaître, à l’instar d’un grand nombre de sociétés traditionnelles.  

Durant les jeunes années de Xavier Vanneste, la brasserie est encore de petite taille et axée sur le marché local. La célèbre Straffe Hendrik, une triple traditionnelle puissante, voit le jour dans les années 1980. Mais l’avenir de la brasserie demeure incertain, malgré la fierté et le savoir-faire investis dans ses bières. La famille envisage même de la fermer face à ses difficultés à rivaliser avec les grandes brasseries industrielles. Elle vend alors sa marque Straffe Hendrik à la brasserie Riva, tout en restant propriétaire du bâtiment et des installations. L’histoire aurait pu s’arrêter là, sans l’obstination à toute épreuve de Xavier Vanneste.   

En 2005, Xavier Vanneste surprend tout le monde en reprenant la brasserie De Halve Maan. – © De Halve Maan

En 2005, Xavier Vanneste, qui n’a pas encore 25 ans, décide de relancer l’entreprise familiale. « Mon projet suscitait un grand scepticisme dans ma famille », se souvient-il. « Ils avaient cédé leurs activités à juste raison à l’époque. Mais de mon côté, j’y voyais du potentiel. » Pour Xavier Vanneste, les temps changent et l’intérêt de plus en plus marqué des consommateurs pour les brasseries artisanales et à petite échelle ne lui a pas échappé. Les bières spéciales ont le vent en poupe et son projet d’insuffler une nouvelle vie dans la brasserie brugeoise soulève beaucoup d’enthousiasme.    

Dès le début, le choix de maintenir le brassage à Bruges, malgré les défis, se révèle capital pour préserver l’authenticité de l’entreprise. La situation et le site historique font partie intégrante de son identité. Il ne lui manque plus que sa propre bière. Là aussi, Xavier Vanneste joue un rôle majeur grâce à ses études d’ingénieur commercial et sa formation à l’école de brasserie de Gand. Il met à profit ses connaissances techniques et le know-how familial pour développer la recette d’une nouvelle bière, la Brugse Zot, et relancer la brasserie dans la foulée. « Ce résultat n’est pas le fait d’une seule personne, évidemment. Nous avons même réussi à impliquer un ancien collaborateur de mon grand-père, déjà pensionné, pour restaurer les anciennes installations. »  

 La Brugse Zot sera le moteur du nouvel essor de De Halve Maan. Bruges aspirait depuis longtemps à avoir sa propre bière et Xavier Vanneste était pleinement conscient de l’importance de l’histoire de la bière dans le succès de la marque. La cité brugeoise, de par son histoire florissante et sa riche identité culturelle, offrait le décor parfait.

La Brugse Zot est devenue une ode au folklore et à l’histoire de la ville. Elle doit son nom à une légende selon laquelle l’empereur Maximilien d’Autriche surnommait les Brugeois « zotten » ou fous parce qu’ils lui avaient demandé de construire un nouvel asile. Une anecdote qui a donné une touche ludique à la bière et très vite généré l’engouement non seulement des Brugeois mais aussi des touristes.  

« Les gens accordent plus d’importance à leur santé et la bière sans alcool répond à leur demande »  

La bière brugeoise se décline en plusieurs variantes, dont une sans alcool, la Sportzot, qui permet à Xavier Vanneste d’écrire une nouvelle page de son best-seller. La percée de la bière sans alcool est une réalité depuis 2023. Selon le bureau d’étude CPS GfK, elle connaît une croissance de l’ordre de 25 % et représente aujourd’hui environ 7,7 % des ventes de bières en Belgique. « Les gens accordent plus d’importance à leur santé et la bière sans alcool répond à leur demande », confirme Xavier Vanneste. La consommation de bières classiques enregistre un recul dans l’Ouest de l’Europe et une faible croissance dans le Sud. Seules la Chine et l’Amérique latine affichent des chiffres de vente solides. L’essor des bières sans alcool permet d’atténuer ce phénomène. Si l’allégation santé explique en partie leur progression d’environ 5 % par an, les avancées dans les techniques de production n’y sont pas non plus étrangères. Les bières sans alcool, peu prisées dans le passé en raison de leur fadeur, ont incontestablement gagné en saveur. De Halve Maan opte pour une désalcoolisation au moyen de filtres à membrane pour conserver un processus le plus naturel possible, et sans ajout d’exhausteurs de goût.   

© De Halve Maan

En plus de la Brugse Zot et de la Sportzot – qui s’approprient environ 70 % des ventes –, le portefeuille de De Halve Maan se compose de la Straffe Hendrik (rachetée en 2008) et de la Blanche de Bruges. Ensemble elles totalisent plus de 70 000 hectolitres et réalisent un chiffre d’affaires de quelque 19 millions d’euros. Parallèlement à cette forte présence en Belgique, la brasserie exporte aujourd’hui dans plus d’une quarantaine de pays. Les bières belges jouissent d’une image haut de gamme aux quatre coins du monde, mais la concurrence est féroce. La stratégie de Xavier Vanneste consiste à commencer par des marchés comme les États-Unis, la Chine et le Japon où la demande de bières traditionnelles et artisanales a le vent en poupe. Un coup dans le mille qui place ses bières sur la carte du monde.   

Le bieroduc  

Démonstration est faite que Xavier Vanneste n’est clairement pas un entrepreneur comme les autres. Il prend des risques et n’hésite pas à sortir des sentiers battus. En 2016, il crée de nouveau la surprise avec l’une des solutions logistiques les plus innovantes de l’industrie de la bière : un pipeline de bière souterrain. À l’époque, la ville de Bruges rencontre un énorme problème de logistique en raison de ses rues étroites héritées du Moyen-Âge. Le transport de la bière, depuis la brasserie implantée en centre-ville jusqu’à l’usine d’embouteillage située à l’extérieur, engendre de sérieuses nuisances en termes de circulation et de pollution. Un problème que l’entrepreneur décide de résoudre d’une manière spectaculaire. Au lieu d’avoir recours au trafic routier, il met au point un pipeline souterrain de 3,3 km de long, capable d’acheminer 4 000 litres de bière par heure. Ce projet, qui peut sembler insensé au premier abord, s’avère être un coup de maître. Non seulement il permet de réduire les coûts de transport et l’impact environnemental, mais il suscite le vif intérêt des médias du monde entier qui élèvent De Halve Maan au rang de pionnier en matière de durabilité et d’innovation. La campagne de financement participatif lancée par la brasserie connaît un franc succès. « C’était une manière de faire la jonction entre le passé et l’avenir », commente Xavier Vanneste. « Nous voulons rester fidèles à nos traditions, mais nous devons aussi nous tourner vers le futur et innover pour rester pertinents. »  

Xavier Vanneste a mis au point un pipeline souterrain de 3,3 km de long, capable d’acheminer 4 000 litres de bière par heure.. – © De Halve Maan

Le bieroduc n’est qu’un exemple des nombreuses initiatives que prend la brasserie pour réduire son empreinte carbone. De Halve Maan investit aussi dans l’énergie verte à travers la pose de panneaux solaires et des méthodes de production peu énergivores. L’accent est mis, en outre, sur le recyclage de l’eau et la réduction des déchets, ce qui permet à l’entreprise de se conformer à des réglementations environnementales de plus en plus strictes.   

Mais sa plus belle réalisation est peut-être d’avoir su protéger un héritage familial et surtout de l’avoir propulsé vers de nouveaux sommets. Cette brasserie, qui a frôlé la fermeture à un moment de son histoire, est aujourd’hui le symbole d’une réussite internationale et un exemple de synergie réussie entre tradition et innovation. 

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