Elle a travaillé pour Stromae, Alexander McQueen et la reine Mathilde. Elle a côtoyé les plus grands noms de la mode à New York, Milan, Londres et Paris. Mais c’est finalement dans sa Bruxelles natale que Valentine Avoh a choisi de s’installer pour créer et exporter sa marque de robes de mariée. En trois langues : français, anglais et italien.
L’atmosphère est des plus détendues au showroom du Boulevard Saint-Michel à Etterbeek. La pièce est lumineuse, chaleureuse, simple. A l’image de la propriétaire des lieux. A portée de vue, la nouvelle collection faite de nuances de blanc magnifie les perles, les plumes et la soie, la matière par excellence de la marque « Valentine Avoh ».
« Je m’inspire beaucoup du vieux Hollywood et le côté glamour des années 1920-30 », définit la créatrice. « Ce que j’aime c’est la légèreté des robes que je crée, il n’y a rien d’extravagant, la plupart sont faciles à porter. Elles sont à la fois simples tout en ayant un effet ‘red carpet’ et haute couture. »
Vous avez dit haute couture ? « Tout est dans la façon de réaliser les robes. Par exemple, les corsets sont réalisés avec des armatures en métal donc le processus de création à la main prend du temps. Les magasins proposent souvent des armatures en plastique qui finissent par s’adapter à la forme du corps et ne le soutiennent plus, ce qui est contre productif. L’effet haute-couture c’est aussi dans les finitions à la main et l’attention aux détails. »
Il y aussi les matières, leur qualité et leur provenance. « Pour moi, c’est très important de prendre des matières nobles et naturelles. Je travaille en grande partie avec de la soie, aussi du coton et de la dentelle. Mes fournisseurs ont leurs ateliers en France et en Italie. Ce sont des personnes avec qui je travaille depuis des années et je sais que le travail en usine est réalisé dans de bonnes conditions. Tu peux commander partout dans le monde mais on ne connaît rien de la manière dont les tissus sont fabriqués, ni des conditions de travail dans les usines. Il ne faut pas diaboliser le Made in China, il y de très bonnes usines en Chine mais la traçabilité y est plus difficile et je n’ai pas l’occasion d’aller sur place tous les trois mois pour voir comment ça se passe, tandis que mes fournisseurs italiens et français, je les rencontre assez souvent. »
Seule en atelier, Valentine a bien essayé d’engager une couturière avant de déchanter rapidement face aux coûts des charges sociales. « Le système fiscal en Belgique n’encourage pas vraiment l’entreprenariat, le marché est petit et on paie trop de cotisations sociales sans en utiliser forcément les avantages. Même si tu as certaines aides, des subsides ou des prêts, ça coûte cher d’engager quelqu’un et te rémunérer en même temps. Je connais des gens qui travaillent depuis des années dans leur boîte et qui ne se paient pas. Et s’ils ne se paient pas, c’est clairement que l’argent rentre autre part. On ne naît pas entrepreneur, on apprend, ce sont des essais et des erreurs, il faut constamment réajuster. »
La solution ? Il faut exporter. Depuis qu’elle a fait l’objet de plusieurs articles dans The New York Times en plein mouvement « Black Lives Matter » et l’intérêt porté par la presse américaine aux créateurs noirs à travers le monde, plus de dix pour cent de ses ventes sont dirigées vers les Etats-Unis. « Cette confiance me touche. Ça me fait plaisir de savoir qu’une femme à l’autre bout du monde veuille commander sa robe de mariée chez une créatrice belge. Je vends aussi en France, en Angleterre et au Luxembourg. En Belgique, les clients viennent de tous horizons, le fait que je sois trilingue est un atout indéniable. »
La marque belge Valentine Avoh circule désormais sur les listings outre-Atlantique. En 2022, elle fournit l’une de ses robes pour habiller Clarck Backo dans la comédie romantique « I want you back » où l’actrice se marie avec Scott Eastwood… le fils de Clint.
De Londres à Paris…
Diplômée en stylisme à la London College of Fashion, Valentine Avoh a directement visé des maisons de haute couture à la renommée internationale. Dans l’atelier d’Alexander McQueen, le célèbre « enfant terrible » de la mode londonienne, elle a testé les découpes de motifs, les modelages et les techniques de couture pour la collection automne-hiver. C’était en 2007, trois ans avant le décès prématuré de l’un des créateurs les plus doués et transgressifs de sa génération.
En 2009, direction Paris chez le grand couturier Alexis Mabille. Après une décennie passée chez Dior, le lyonnais fonde sa propre marque et compte parmi ses premiers clients Mick Jagger et Karl Lagerfeld. Là encore, les planètes s’alignent et le destin se confirme : Valentine Avoh participe à la confection de la collection printemps-été. De cette époque, elle garde un excellent souvenir. « Je me sentais toujours bien quand j’étais en atelier. Je me sentais toujours chez moi et j’y ai fait de très belles rencontres qui ont parfois été déterminantes dans la poursuite de ma carrière. Quand tu entres dans un atelier, c’est toujours un peu magique. Tu rentres dans un espace créatif unique. » Si elle reconnaît avoir été influencée par le travail d’autres références telles que Jean-Paul Gauthier, Christian Lacroix ou Nina Ricci, les « petites mains » des ateliers qu’elle a côtoyées l’ont aussi inspirée par leur « force de caractère ».
Ce qu’elle retient de la culture anglo-saxonne ? « Tu es lâchée dans la nature. Il faut beaucoup travailler, faire ses preuves, tenir tête à certains profs et avoir assez de tempérament pour affirmer tes choix. J’ai toujours aimé ça parce que je suis assez autodidacte. La mode, c’est très subjectif, mais si tu es convaincu par ton travail, ça vaut la peine d’insister. En fait il faut être sûre de son projet mais il faut aussi pouvoir se remettre en question pour avancer. »
… en passant par New York, Milan et Bruxelles
« L’élégance est la seule beauté qui ne se fane jamais », disait l’actrice Audrey Hepburn. C’estjustement à deux pas de Broadway, là où décolla la carrière de notre célèbre icône bruxelloise, que Valentine Avoh poursuit sa quête infinie d’inspiration et sonde les concepts de beauté, d’élégance et de créativité, déclinés à l’envi et à outrance par la mode américaine.
Correspondante pour le magazine Elle à New York et ensuite à Milan (à l’heure où les réseaux sociaux sortent à peine de la préhistoire), elle y couvre plusieurs Fashion Weeks et photographie Ana Wintour, Solange Knowles, Laetitia Casta et d’autres anonymes qui plaident la confiance en soi par la personnalisation du style. « J’ai adoré que ces personnes m’accordent quelques instants pour les photographier, qu’elles se trouvent belles sur les photos. J’ai aimé regarder les défilés, le travail des pièces, les détails des collections. Quand tu fais du street style, tu vois comment les gens s’approprient leur look et ont extra confiance en eux tandis que personne ne les connaît. C’est rigolo. »
A cette époque, en 2010, un autre Belge entame sa grande percée planétaire : Paul Van Haver, aka Stromae. Et comme le monde est petit, c’est à Valentine qu’on demande de trouver les costumes dont l’artiste a besoin pour le tournage de son clip Te Quiero. « Pour la petite anecdote, l’une des scènes où il est en costume, la cravate et la mallette sont celles de mon père. »
Après le maître, viendra la reine. En tant que cheffe d’atelier auprès du styliste Marc Philippe Coudère de la maison Natan, Valentine Avoh est chargée de réaliser deux robes pour Mathilde de Belgique. Une expérience qu’elle qualifie de « gratifiante » où le protocole laisse rapidement place à l’intimité puisqu’il s’agit de prendre les mesures du corps de sa majesté, gérer les essayages et la satisfaction du produit fini, discuter des choix et du contexte dans lequel les robes seront portées. « Dans ces circonstances, c’est une femme comme tout le monde. Nous avons une reine sympa ! »
La confiance, la base
Le meilleur aspect du métier ? « Même si je réalise le même modèle pour plusieurs clientes, c’est toujours un challenge car tu développes des idées, tu personnalises en fonction des souhaits et aussi de chaque morphologie. A part quand tu fais ta compta, aucun jour ne se ressemble ! »
Créer des vêtements ne se limite donc pas au savoir-faire, c’est avant tout une histoire humaine. « Ce que j’aime dans mon métier c’est de contribuer au bien-être des clientes. Il faut pouvoir travailler avec les insécurités des femmes. Certaines se trouvent trop rondes ou n’aiment pas telle ou telle partie de leur corps. Le fait d’être assistée par quelqu’un qui est toujours dans la bienveillance et qui va leur proposer le modèle qui leur donnera confiance, pour moi c’est très important. C’est une relation qui doit être basée sur la confiance. Je dis souvent à mes clientes que c’est un peu comme le choix de leur mari, comme on va se voir longtemps, il faut que ça matche. »