They did it! Les « cowboys » ont réussi à fabriquer du vrai fromage sans faire appel à la moindre vache. Basée à Gand, la start-up Those Vegan Cowboys se trouve à l’aube d’une percée internationale.
Une petite leçon de chimie s’impose : le fromage de Those Vegan Cowboys est créé grâce à la fermentation de précision, un procédé qui permet de produire de la caséine, la principale protéine du lait utilisée dans le fromage, à partir de matières végétales. C’est une révolution, car cette méthode reproduit parfaitement le goût et la texture d’un fromage traditionnel, sans les impacts environnementaux ni les enjeux éthiques liés à l’élevage. « On ne peut pas obtenir les fils de fromage fondu sur une pizza sans caséine », explique Hille Van der Kaa (45 ans), CEO de Those Vegan Cowboys. Comme son nom l’indique, elle est Néerlandaise, à l’instar de ses collègues. En effet, à l’origine de la start-up gantoise se trouvent des entrepreneurs néerlandais, les mêmes qui ont lancé De Vegetarische Slager. Jaap Korteweg et Niko Koffeman ont transformé leur substitut de viande en une entreprise florissante, entre-temps cédée à la multinationale Unilever.
Margaret
Après s’être attaqué à la viande, le duo s’est tourné vers le fromage, un autre marché mondial au lourd impact écologique. « La technique de fermentation de précision a été perfectionnée. Au moment où nous avons lancé le projet, un laboratoire à Gand venait justement de se libérer, avec tout l’équipement et le personnel nécessaires », explique Hille Van der Kaa en évoquant le choix de la Belgique. « Ça nous a permis de démarrer rapidement. Aujourd’hui, Gand s’avère être une ville extrêmement agréable et stimulante. Le parc technologique de l’Université à Zwijnaarde est un véritable hub. »
« Le goût et la texture du fromage sans vache ressemblent à s’y méprendre à ceux du fromage traditionnel »
En développant du fromage en laboratoire à partir de micro-organismes, l’entreprise fabrique donc un véritable fromage sans la moindre vache. Dans leur installation de fermentation baptisée ironiquement Margaret, leur vache en acier inoxydable, des levures sont transformées en caséine. « C’est un procédé révolutionnaire, car nous fabriquons un fromage dont le goût et la texture sont similaires à ceux du fromage traditionnel, sans les aspects négatifs liés à l’élevage », souligne Hille Van der Kaa.
Une telle approche permet à Those Vegan Cowboys de surfer sur une tendance. Plusieurs jeunes entreprises explorent des alternatives durables et « brassent » des protéines. Certaines utilisent des champignons qui, avec les bonnes conditions et la bonne alimentation, se développent en filaments riches en protéines, comme la start-up écossaise Enough, qui développe des protéines durables destinés aux substituts de poisson, de viande et de produits laitiers. D’autres, à l’instar de l’entreprise néerlandaise Farmless, produisent des protéines en cultivant une bactérie nourrie uniquement à l’alcool.
Avec leur production de caséine, les cowboys véganes se démarquent des entreprises qui fabriquent du fromage végane classique. Ces dernières reproduisent le fromage à partir d’ingrédients comme l’huile de coco, les noix de cajou ou le lupin. Dans le monde de la fermentation de précision, d’autres sociétés se concentrent sur le lactosérum ou la présure microbienne. La caséine est l’ingrédient le plus difficile à reproduire. Et Hille Van der Kaa de préciser : « La caséine est l’ingrédient le plus complexe, mais aussi le plus essentiel du fromage. Maintenant que nous avons réussi, il ne reste plus qu’à affiner et à augmenter la production. »
Étant donné qu’il s’agit d’une nouvelle méthode, l’entreprise doit obtenir les autorisations nécessaires en matière de législation sur la sécurité alimentaire en Europe, aux États-Unis et à Singapour. Un processus qui prend du temps, mais qui constitue une étape cruciale pour le lancement commercial. « En Europe, ça prendra probablement trois à quatre ans. Aux États-Unis, ça devrait aller plus vite, et nous pourrions être sur le marché dès l’an prochain », poursuit Hille Van der Kaa. « C’est un peu dommage pour l’Europe, car en tant qu’entreprise européenne, nous aurions aimé explorer ce marché que nous connaissons bien grâce à De Vegetarische Slager. » Pour monter en puissance, les entrepreneurs néerlandais finalisent actuellement une levée de fonds d’environ 15 millions d’euros. De quoi leur permettre de mener à bien la première phase de commercialisation. Il y a un intérêt tant de la part de différents family offices que de fonds durables. Leur lien avec la success story de De Vegetarische Slager renforce leur crédibilité auprès des investisseurs. Les premiers fromages fabriqués, affinés et dégustés par les fondateurs sont de bonne augure. « Oui, c’était excitant ! Nous avons fabriqué un camembert, un brie, une feta et un fromage jaune. Je les ai tous trouvés délicieux et indiscernables des versions traditionnelles », se réjouit Hille Van der Kaa. « Le camembert et le brie sont mes préférés. »
« La tranche de fromage sur votre hamburger chez Burger King ou McDonald’s pourrait bientôt venir de Those Vegan Cowboys »
Impact
Une fois que l’Europe aura donné son feu vert, il faudra intensifier les efforts. « Nous avons actuellement des accords avec huit grands producteurs qui souhaitent acheter notre caséine pour fabriquer leurs fromages. Nous cherchons aussi des partenaires stratégiques, principalement dans le secteur agricole, car ils jouent un rôle crucial dans notre vision de l’avenir de l’industrie laitière. En outre, nous envisageons de lancer notre propre fromage, mais pour avoir un impact véritable sur une société plus durable, nous devons nous concentrer sur le marché B2B. La tranche de fromage sur votre hamburger chez Burger King ou McDonald’s pourrait bientôt venir de Those Vegan Cowboys. »
Issue d’une famille d’agriculteurs, Hille Van der Kaa est végane depuis de nombreuses années. Son collègue Jaap Korteweg possède par ailleurs une ferme biologique. « Combiner mon background avec mes convictions est un énorme plus », ajoute Hille Van der Kaa, qui a étudié les sciences de la communication et de l’information à l’Université de Tilburg. Avec son entreprise De Uitgeeffabriek, elle a également proposé ses services en contenu et marketing à des entreprises (médias). Elle a par ailleurs été rédactrice en chef de BN DeStem. En 2020, après la naissance de son fils, elle a changé de voie en devenant responsable de la communication chez Those Vegan Cowboys, avant de devenir CEO.
« L’avenir de l’industrie laitière va changer radicalement. La production traditionnelle du lait cédera la place à des méthodes innovantes et durables. Il ne s’agit plus d’un phénomène de mode, mais d’un véritable modèle économique. Les producteurs laitiers devront s’adapter à cette transition. L’agriculture demeure importante pour nous. L’herbe et les betteraves sucrières restent nos matières premières. Les agriculteurs continuent donc de jouer un rôle essentiel dans toute la chaîne. Et je suis convaincue qu’ils le voient aussi de cette manière. Au lieu d’une vache vivante, nous offrons aux agriculteurs une machine à traire beaucoup plus efficace. Nous franchissons la prochaine étape logique de la production laitière. Avancer avec les agriculteurs est pour nous une évidence, et nous sommes ouverts aux collaborations. D’ailleurs, nous ne pourrons pas réussir sans eux, et nous sommes ravis des discussions en cours. »