« Si je peux trouver un terroriste, je peux trouver un client en colère ». C’est sur base de cette idée que CulturePulse, une société américaine désormais basée à Bratislava, en Slovaquie, a transposé son modèle de d’IA se basant sur des jumeaux numériques au monde des affaires. À l’origine, la technologie était utilisée, et l’est toujours d’ailleurs, pour l’analyse de données complexes dans des contextes de sécurité et de crises humanitaires. Outre ces segments, elle permet aux entreprises de mieux comprendre leurs marchés, d’anticiper les réactions des consommateurs et d’optimiser leurs stratégies de marketing et de gestion de la chaîne d’approvisionnement.
L’IA de CulturePulse repose sur le concept d’ « intelligence artificielle agentique » pour créer des jumeaux numériques psychologiquement réalistes de populations, de marchés ou de zones géographiques. Au lieu d’une formation traditionnelle nécessitant de grandes quantités de données répétées, leur système apprend dès la première analyse des flux de données. Les données, quant à elles, proviennent de diverses sources telles que les médias et les réseaux sociaux. Cette approche permet de générer des représentations numériques individuelles qui interagissent au sein de réseaux sociaux simulés, échangeant des informations et des émotions.
Cette technologie peut aider les États à mieux comprendre et d’anticiper les dynamiques sociales et politiques au sein de leur propre population ou dans des régions d’intérêt. En analysant les flux de données, l’IA peut identifier des signaux faibles et des sentiments émergents qui pourraient conduire à des troubles sociaux, des mouvements de protestation ou d’autres événements importants.
La technologie offre aussi la possibilité d’évaluer l’impact potentiel des politiques publiques avant leur mise en œuvre, en les testant virtuellement, et contribue ainsi à la gestion des risques géopolitiques et de la sécurité. Elle peut, en outre, aider à identifier et à contrer la désinformation en analysant la diffusion d’informations et les réactions au sein des jumeaux numériques.
L’
IA de
CulturePulse a été utilisée en Irlande, lors de la crise des réfugiés syriens, en Bosnie-Herzégovine, et, plus récemment,
en Israël et en Palestine. Les Nations Unies ont fait appel à cette technologie afin d’aider à mieux comprendre et à prendre des décisions à grande échelle impliquant des populations importantes dans ces zones à forte instabilité.
Mais cette technologie de jumeaux numériques peut aussi être utilisée dans le monde des affaires, a réalisé Justin Lane, le CEO américain de CulturePulse.
Plusieurs facteurs ont motivé ce pivot vers le secteur B2B. « Le marché des entreprises offre en effet des opportunités de contrats plus stables et potentiellement plus lucratifs. » Selon son patron, CulturePulse devrait se concentrer davantage sur les produits en libre-service pour les entreprises, tout en conservant une partie de ses activités pour des projets personnalisés pour des organisations internationales. De plus, l’expérience acquise dans ces environnements complexes et sensibles a permis à CulturePulse de développer une technologie d’analyse très précise et fiable, surpassant potentiellement les méthodes plus traditionnelles utilisées dans le monde du marketing.
Et très concrètement, de grandes entreprises multinationales utilisent aujourd’hui la technologie de CulturePulse pour gérer et anticiper les risques liés à leur chaîne d’approvisionnement. « Un exemple concret est celui d’une grande organisation européenne connue pour la vente de meubles et de biens de consommation courante. Leur chaîne d’approvisionnement complexe, allant des matières premières jusqu’à la distribution, est analysée grâce à des jumeaux numériques qui permettent de prévoir les problèmes potentiels et leur impact sur les prix à long terme (6, 12, voire 18 mois). Cela aide à prendre des décisions concernant les fournisseurs et la logistique pour stabiliser les coûts », illustre Justin Lane. La technologie peut également prédire les perturbations dues à des actions humaines telles que les conflits dans les zones d’approvisionnement ou les grèves portuaires, en analysant les frustrations et les dynamiques psychologiques au sein des populations concernées.
De grandes banques et agences de notation de crédit aux États-Unis envisagent aussi d’utiliser l’IA de CulturePulse pour évaluer le profil de risque de grands projets d’infrastructure. Au lieu de se concentrer uniquement sur le risque de crédit individuel, l’analyse porte sur la stabilité de l’environnement dans lequel le projet sera implanté. Les jumeaux numériques peuvent simuler des menaces potentielles telles que des émeutes, des protestations ou des grèves qui pourraient impacter la réalisation et la pérennité du projet. L’évolution du climat géopolitique est également prise en compte.
CulturePulse emploie quinze personnes à temps plein, en plus de consultants en fonction des projets. Ses revenus nets ont été multipliés par plus de dix par rapport à ses débuts et l’entreprise prévoit de réaliser un chiffre d’affaires à sept chiffres cette année. « Si tout se passe bien, nous serons probablement sur le point de conclure des contrats d’une valeur de 5 à 10 millions d’euros d’ici la fin de l’année », ambitionne son CEO.
La société ne compte actuellement aucun client en Belgique mais espère pouvoir en décrocher l’un ou l’autre à l’avenir. Dans l’objectif plus large d’agrandir sa clientèle, elle cherche d’ailleurs à déplacer stratégiquement son centre de gravité vers l’ouest et donc davantage vers l’Europe occidentale, vers le Royaume-Uni et les États-Unis.