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La Saga Taittinger : Vitalie Taittinger, héritière et présidente de la maison de champagne

Ce lundi de septembre ensoleillé au château de la Marquetterie, près d’Epernay, on sabre le champagne… C’est dans cette gentilhommière du 18e siècle que nous avons rendez-vous avec Vitalie Taittinger pour parler de sa folle saga familiale.

C’est le 2 janvier 2020 que Vitalie Taittinger devient présidente de la maison de champagne dont elle est la digne héritière. Le moment est solennel pour cette quadragénaire mais aussi l’aboutissement d’une aventure extraordinaire, qui a vu son père Pierre-Emmanuel, quatorze ans plus tôt, racheter le champagne Taittinger vendu à des Américains. « Je n’ai pas grandi en me disant qu’un jour je reprendrais l’affaire familiale. La seule chose qui m’intéressait, c’était l’art! Tout a changé le jour où le groupe a été vendu. Le désarroi de mon père m’a fait prendre conscience de la valeur de ce patrimoine familial, de l’histoire qui nous a construits et dont nous sommes les héritiers, de la chaîne humaine que cela représente aussi », nous confie Vitalie non sans émotion…    

Taittinger
©Justin Paquay

L’histoire folle d’un rachat

Retour quinze ans plus tôt. Le dimanche 29 mai 2005, la majorité des 38 actionnaires de la famille Taittinger se résignent à vendre leur empire. Soit 14 palaces, dont le Crillon, le Lutetia et l’Hôtel du Louvre, à Paris, ou le Martinez, à Cannes. Et puis les chaînes d’hôtels bon marché Campanile et Kyriad. Des joyaux encore, comme la cristallerie Baccarat ou les parfums Annick Goutal. Enfin le champagne, seule marque portant le nom de Taittinger.

Le groupe du Louvre se porte bien mais les dividendes annuels sont faibles, certains actionnaires ont besoin d’argent, d’autres ont envie de voler de leurs propres ailes pour lancer un projet personnel… Il y a aussi des dissensions au sein de la famille. Pierre-Emmanuel Taittinger, lui, est contre la vente mais accepte la loi de la majorité. En revanche, il refuse de laisser le champagne quitter le giron familial. Il lui prend alors l’idée folle de le racheter, d’autant que le fonds d’investissement américain Starwood (grand favori pour acquérir le groupe), n’est pas intéressé par les bulles et donc revendra la marque dès qu’il le pourra.

Quant à Pet (surnom de Pierre-Emmanuel Taittinger pour les intimes), il a plusieurs raisons de vouloir remettre la main sur le champagne qui porte son nom. Il travaille dans la maison depuis ses 23 ans, commençant en bas de l’échelle pour en devenir le directeur général délégué en 2003. C’est aussi une question d’honneur et de fidélité à l’histoire de sa famille. Il pense à son grand-père et fondateur de la marque, Pierre Taittinger, un patriote engagé qui achète en 1932 au cœur d’un domaine viticole le château de la Marquetterie (berceau de la Maison) et le champagne Forest-Fourneaux dans la foulée. Il pense à son oncle François Taittinger, le fils rebelle et charismatique qui développe et modernise l’activité du champagne et crée la marque Taittinger en lui donnant son nom. Il pense à son père, Jean Taittinger, figure politique emblématique de la région, maire de Reims de 1959 à 1977, ancien ministre aussi, qui voit avec tristesse le groupe familial s’évaporer.

Taittinger
©Justin Paquay

La famille détenant 35 % des actions de l’empire familial, Pierre-Emmanuel Taittinger recevra bien quelques millions après la vente mais il est très loin du compte pour racheter le champagne. Des proches l’incitent alors à rencontrer Bernard Mary, le directeur du Crédit Agricole du Nord-Est, à Reims. L’établissement a l’avantage d’être le partenaire privilégié des vignerons et maisons de champagne. En pratique, le scénario ébauché est une opération de portage : la banque verte rachète seule le champagne, puis Pierre-Emmanuel Taittinger recapitalise, trouve des actionnaires, définit un plan d’endettement et reprend les rênes de la maison. Plus facile à dire qu’à faire ! Car certains doutent que Pierre-Emmanuel Taittinger soit l’homme de la situation… Sa réputation d’homme iconoclaste qui ne reste pas en place ne joue pas en sa faveur, nous rétorque sa fille Vitalie. « Mon père est un fougueux personnage jamais à court d’une histoire extraordinaire à raconter… C’est aussi un vendeur de bouteilles hors pair. Malgré son sens de la formule, son charme et sa courtoisie désarmante, pour certains, Papa n’était pas le repreneur idéal. » L’affaire est importante. Elle comprend 288 hectares de vignes (c’est le troisième plus grand vignoble de champagne), un solide patrimoine vinicole et immobilier, un stock de 22 millions de bouteilles… La marque va bien et est reconnue dans le monde entier (on boit du champagne Taittinger dans 140 pays). Le tout est estimé à 440 millions ! Le banquier met une condition avant de se lancer : obtenir la caution morale de Jean Taittinger, père de Pierre-Emmanuel, qu’il connaît et admire. « C’est lors d’un rendez-vous ultra confidentiel que mon grand-père Jean Taittinger accepte de soutenir la candidature de mon père auprès du Crédit Agricole. Aux yeux de Bernard Mary, ce rachat est une façon de se mettre au service du territoire et de rendre hommage à l’ancien maire de Reims. Sans cette garantie, mon père n’aurait pas obtenu le chèque »,
confie Vitalie.

« Notre préoccupation est de donner le meilleur de nous-mêmes au service de l’entreprise. Nous sommes une famillesoudée à la tête d’un comité de direction »

Le 22 juillet 2005, le groupe Starwood est choisi parmi cinq candidats comme nouveau propriétaire de l’empire Taittinger pour 2,8 milliards d’euros. Le lendemain, Pierre-Emmanuel se porte candidat à la reprise du champagne avec le concours du Crédit Agricole à la grande surprise de son oncle Claude Taittinger, l’emblématique président de la marque depuis 1960,  génie du marketing et l’un des artisans principaux de la vente du groupe familial. La suite? Pendant un an, Starwood ne change rien à l’équipe en place puisqu’il cherche à revendre le champagne. Les candidats au rachat se bousculent (Pernod-Ricard, les champagnes Roederer, le financier belge Albert Frère ou encore le groupe LVMH de Bernard Arnault), attirés surtout par les centaines d’hectares de vigne que possède la marque, tant ces terres sont rares et de plus en plus chères. Mais le dossier de Pierre-Emmanuel Taittinger est solide et puis il bénéficie d’un avantage de taille par rapport à ses concurrents : l’appui du personnel de l’entreprise, du syndicat des vignerons et de la puissante CGT du champagne. Fin mai 2006, le Crédit Agricole du Nord-Est signe un chèque de 660 millions à Starwood. Pierre-Emmanuel Taittinger a gagné son pari mais il a un an pour recapitaliser, sinon le Crédit Agricole revendra. Il y parvient, avec l’aide de sa famille proche, en mettant aussi tout l’argent glané lors de la vente du groupe. « Quand il a réussi ce tour de force, j’étais non seulement très émue mais aussi très fière car il a racheté cette maison avec beaucoup d’humilité et d’amour, le tout dans l’idée de la transmettre aux générations futures », explique celle qui prendra la tête du champagne Taittinger en 2020 avec le même idéal de passation.  

Taittinger
©Justin Paquay

L’esprit start up d’une maison centenaire

Dès qu’il endosse l’habit de président de la maison de champagne Taittinger, Pierre-Emmanuel y instaure un esprit start-up et recrute les gens les plus compétents mais aussi les plus jeunes. Damien le Sueur, ingénieur trentenaire, s’occupera des approvisionnements en raisin tandis que Vitalie et Clovis rejoindront l’équipe dans la foulée, forgeant un peu plus l’identité familiale de la marque. « Les budgets étaient restreints au début. Du coup, on devait être super créatifs. Comme j’avais travaillé dans l’illustration et le graphisme, j’ai commencé par repenser les étiquettes et le design des packagings. C’est une maison qui a toujours eu une identité assez sobre, structurée et en même temps qui est créative et audacieuse. C’est cette dualité ‘ancrage-modernité’ que Damien, Clovis et moi voulons perpétuer. » 

Aujourd’hui, c’est donc ce trio soudé qui dirige la prestigieuse maison : la présidente, Vitalie Taittinger qui pilote (entre autres) l’image et la communication de la marque ; Clovis, le directeur général et responsable de l’international ; Damien le Sueur, le directeur général veillant aux équilibres entre le vignoble, les approvisionnements, la production, le commerce et la finance. Pierre-Emmanuel reste président d’honneur, gardien de l’histoire familiale et ambassadeur de la marque. « Ce choix fut collectif et longuement mûri », explique Vitalie qui ajoute : « Mon rôle est de veiller à l’équilibre global de l’entreprise. Cela implique d’être à Reims. Clovis a besoin de bouger et de voyager. C’est un citadin. Il habite à Paris. On se complète du coup très bien. Notre préoccupation est de donner le meilleur de nous-même au service de l’entreprise. Je ne prends jamais de décisions seule. Nous sommes une famille soudée à la tête d’un comité de direction. » 

Leur objectif ? Grandir ! Du coup, la maison est passée d’un à trois sites de production, le chiffre d’affaires est monté à 165 millions et le nombre de bouteilles produites a quasiment doublé, passant à 7 millions. Comment ? En achetant notamment du raisin à des viticulteurs indépendants. Mais sans perdre en qualité dans la bouteille. L’équipe a aussi mis l’accent sur la cuvée prestige et millésimée Comtes de Champagne – une merveille à 150 euros le flacon. En parallèle, les ventes à l’étranger explosent et l’image de la maison a pris un sacré coup de jeune avec – outre les partenariats prestigieux avec des artistes de renom ou les étuis en carton avec bulles imprimées à effet 3D -, la rénovation de son siège rémois, sur la butte Saint-Nicaise et la réouverture au public des crayères (magnifique site deux fois millénaire), qui abritent des millions de bouteilles. « Le jour de la réouverture des caves après des mois de travaux, nous avons inauguré une plaque en pierre gravée aux noms des parents de mon père : Jean et Corinne Taittinger. Mon père était tellement heureux ! La boucle était bouclée. Son rêve de transmission s’était réalisé. » La suite? « Entre les quatre enfants de Clovis et mes quatre enfants, il y en aura peut-être un ou une qui reprendra le flambeau… (rires) Mais on ne poussera pas », conclut Vitalie. Saga à suivre donc.  

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