Thierry et Françoise, les parents, avaient bâti le groupe Blanchart. Jérôme et Jonathan, les fils, ont créé le groupe Art Blanc. Depuis cinquante ans, la famille collectionne les établissements horeca à Bruxelles et en Wallonie. Récit et recettes d’une success-story.
Blanchart et Art Blanc. Comme chou vert et vert chou, sauf qu’il y a quand même des nuances et que le « h » s’est envolé. Sinon, Blanchart, c’est le nom d’une famille d’entrepreneur(e)s qui depuis bientôt un demi-siècle déploie ses ailes depuis Waterloo et majoritairement dans le secteur horeca. Art Blanc, outre que c’en est l’anagramme presque parfait, c’est le nom du groupe, créé en 2019 et rassemblant pour l’instant douze établissements, répartis à Bruxelles et en Wallonie, avec aussi un hôtel à Maurice.
Blanchart et Art Blanc, c’est surtout une authentique saga. Avec un premier empire, conquis et construit en trente ans, fort d’une vingtaine d’enseignes dans tout le pays, puis une liquidation quasiment totale – 95 % des affaires revendues – pour ensuite une reconstitution, en une quinzaine d’années, step by step. Au départ, il y avait Thierry et Françoise Blanchart. Aujourd’hui, il y a Jérôme et Jonathan Blanchart, leurs fils. Entre, une foule de restaurants, de bars, de clubs, d’hôtels et de salles pour événements où se sont pressés et se pressent encore des millions de Belges et de touristes.
Acte I : de L’Amusoir au groupe Blanchart
L’histoire démarre le 27 décembre 1975. Thierry Blanchart ouvre un bar, sur l’artère principale de Waterloo, chaussée de Bruxelles, pas très loin du cinéma Wellington. Il l’appelle L’Amusoir, bosse lui-même au comptoir et en fait un lieu de rendez-vous rapidement incontournable pour la jeunesse locale et celle du sud de la capitale. En 1976, le bar s’ouvre à la restauration, avec une cinquantaine de couverts et le spaghetti gratiné comme spécialité. En 1981, puisque les choses tournent vraiment bien, Thierry Blanchart ouvre, juste à côté, un deuxième resto, de poissons cette fois : Les Demoiselles des mers, que gère Françoise Failon. Cupidon et le business pouvant faire bon ménage, Thierry et Françoise s’unissent, dans la vie civile et le travail : à lui l’opérationnel, à elle l’administratif.
Alors, l’expansion démarre, entre rachats et créations de bars, restaurants, boîtes de nuit et hôtels à travers la Belgique et au-delà. L’Aquarius, La Pomme, Le Bruxelles, Le Stamp Bar et La Maison du Seigneur (Waterloo), six Mexican Grill (dont trois aux Pays-Bas), Le Henri 1er (Uccle), l’hôtel Clarenhof (Nieuport), Le Petit Versailles (Gosselies), Le Saint Loup (Namur), Le Petit Gabriel (Nivelles)… Le couple Blanchart, qui a donné naissance entre temps à Jérôme (en 1989) et à Jonathan (en 1992), a créé le groupe Blanchart.
En trimant sans s’arrêter. La plupart des repas en famille se font dans l’un des établissements qu’elle détient. « Et mon père se levait minimum trois fois pour aller faire le service », rembobine Jérôme. « La restauration, c’était un métier qu’on maudissait, tellement on voyait comme ça accaparait nos parents. Je n’avais pas de vision précise sur ce que je voulais faire mais en tout cas, c’était pas ça. » Pareil pour Jonathan, qui, lui, aurait aimé être jardinier : « Quand mon père ne bossait pas, les seuls moments passés ensemble c’était quand je l’aidais au jardin. Et puis ça me plaisait bien l’idée de travailler seul, dehors, de terminer à 17 heures en voyant abouti le boulot commencé le matin. »
Acte II : des car-wash au groupe Art Blanc
Tout faux. En 2005, à 16 ans, Jérôme arrête l’école. Jonathan l’imite au même âge trois années plus tard. « Notre père, résume l’aîné, nous a dit ok mais alors il faut travailler. Et c’est ce qu’on a fait, dans ses maisons, dans d’autres, dans des car-wash. Et puis, en 2007, il a tout revendu, sauf le Stamp et L’Amusoir. En nous disant que c’était pour nous, moi le bar et Jonathan le resto, mais qu’on devait en acheter le fonds de gestion. On a pris un crédit, on a mis nos petits sous et on a bossé chacun de notre côté. » Chacun développant ses affaires aussi : Thierry et Françoise ouvrent Le Red Line (Bruxelles), Jérôme reprend Le Spirito (Ixelles) et Jonathan ouvre Le Bar de l’Amusoir, tout contre le restaurant, à Waterloo…
En 2010, Thierry sort pour de bon du circuit. En 2018, les frangins décident de s’allier. « On faisait nos trucs séparément, en la jouant au jour le jour », disent-ils en chœur. « On s’est dit qu’après dix ans comme ça, il fallait se professionnaliser, mutualiser nos entreprises, faire des économies d’échelle. On avait déjà le même bureau de comptabilité, on est frères et on a l’avantage d’être copains, on se téléphonait pratiquement tous les jours… Et puis on s’était entouré de gens dont l’ambition nous a poussés à nous développer, ensemble. Bref, en 2019, on a créé Art Blanc. Qui est devenue notre vitrine commerciale. Notre groupe. »
« On essaie toujours de comprendre ce qu’on a fait comme bêtises, pour en tirer les enseignements et ne plus les commettre »
Jérôme et Jonathan en sont les deux CEO, détenant chacun 50 % des parts. Françoise – « la reine-mère », comme sourit le benjamin – en assure la direction financière. Neuf autres collaborateurs/trices en forment le board. Douze établissements en constituent actuellement le socle – deux autres ouvriront en 2025. « Le groupe emploie un peu plus de 500 personnes en Belgique et un peu plus de 600 avec l’hôtel à Maurice », ajoute Jérôme. « Notre philosophie, c’est d’engager du staff très jeune », embraie Jonathan. « Ça nous permet de rester au courant des tendances, de les comprendre, parce que j’ai maintenant 31 ans, je suis devenu papa, et je capte probablement moins bien les attentes de la jeunesse. » Avec l’ambition « d’ouvrir deux nouvelles adresses par an, au moins sur les trois prochaines années, à Bruxelles et en Wallonie », complète Jérôme. Qui, pour autant, ne se la joue pas : « On a pris des tuiles, on a eu des faillites, on a raté des projets. Mais on a analysé chaque échec, on essaie toujours de comprendre ce qu’on a fait comme bêtises, pour en tirer les enseignements et ne plus les commettre. Pour grandir, en fait. »
Acte III : du Covid à la répartition des rôles
Comme durant la pandémie de coronavirus. « On venait de créer Art Blanc », détaille Jonathan. « Ça veut dire qu’on avait développé une assez grosse structure, avec des frais, des coûts et exclusivement basée sur des activités soudain à l’arrêt : les restaurants, les clubs et l’événementiel. Personne ne savait où on allait, combien de temps ça durerait. Alors la question s’est posé : on lève le pied, on déstructure, on retourne en arrière, on fait des licenciements lourds ou on met gaz à fond, comme on dit chez nous, et on continue notre développement ? On a décidé de continuer. D’endetter davantage le groupe, et sur plus longtemps. En fait, on a profité des confinements pour se structurer et des déconfinements pour essayer de renflouer. Et à la sortie de la pandémie, en 2022, on a pu profiter de l’euphorie de la réouverture des restaurants. »
« On a eu de la chance aussi », estime Jérôme. « Dans l’hyper-centre, à Bruxelles, même une fois déconfiné, le secteur n’avait pas de clients parce qu’il n’y avait pas de touristes, alors que notre clientèle, de chaque établissement, est constituée à 80-85% d’habitués, de locaux ; dès qu’on a rouvert, ils étaient présents. Tout n’a pas été simple mais on n’a très vite plus eu de séquelles réelles. On en est sorti plus mobiles sur nos affaires, plus réactifs, plus attentifs au contexte géopolitique. »
Réorganisés aussi : « Mon père disait toujours que, dans une voiture, il faut un pilote et un copilote », explique Jonathan. « On était jusque-là dans une répartition des rôles sectorielle : lui pour les bars, le clubbing et l’événementiel et moi pour les restaurants, grosso modo. Mais avec le Covid, les clubs sont restés fermés dix-huit mois quand même. Et avec les nouveaux projets, on était souvent aux mêmes réunions, tout ça. Bref, on a revu nos plans et, début 2024, Jérôme, qui a un côté plus optimiste, plus fonceur, est devenu le pilote, qui gère le côté structure et développement, qui définit vers où on va, quel concept, les lieux, etcs, et moi, qui suis plus à jouer la sécurité, je suis le copilote, qui veille à maintenir la direction fixée pour le groupe, même si on l’a définie ensemble, en tant que CEO tous les deux. Donc je suis plus dans la direction opérationnelle, la gestion sur le terrain. »
« On combat la force de l’habitude, des raccourcis, des économies de bouts de chandelle, en étant sur le terrain au quotidien »
Acte IV : des clés du succès au groupe de demain
La complémentarité entre les deux frères est l’une des clés de leur parcours professionnel plutôt épatant. « Mais c’est surtout qu’on est allé à bonne école », insiste Jérôme. « Avec nos parents. Et puis on travaille beaucoup, une centaine d’heures par semaine, six jours sur sept. On a aussi acquis une expertise, avec le temps. On est curieux et on aime discuter avec tout le monde pour comprendre ce qui pourrait fonctionner. On combat la force de l’habitude, des raccourcis, des économies de bouts de chandelle, en étant sur le terrain au quotidien. On se donne les moyens de nos ambitions et de celles de notre entourage. » Jonathan approuve, ajoutant que, « pour nous, faire de gros horaires est évident : on a vu nos parents ne faire que ça. En étant sur place, à faire la plonge s’il le faut et surtout à entendre et comprendre le personnel. On a d’ailleurs très peu de turn over. »
À quelques mois d’une année festive – les 50 ans de l’ouverture de L’Amusoir –, ciel dégagé, donc, au-dessus d’Art Blanc. « On tient même notre résolution de début 2023 : ne plus parler boulot aux réunions de famille », rit Jérôme. « En même temps, c’est facile : on passe déjà tellement de temps ensemble au boulot qu’on peut bien, l’espace du dîner, ne pas en rajouter. » Et les ambitions, à long terme ? « On ne s’est pas fixé d’objectifs dans le temps. On construit un groupe qui n’est pas dépendant de nous, même si on en est les locomotives. Notre père, quand il a vendu 95% de ses affaires, c’est parce qu’il n’y avait personne derrière : pas d’associé, un organigramme qui tenait sur deux personnes et demie, etc. »
Jonathan le dit autrement : « Si on arrive où on veut arriver, le groupe se gèrera sans forcément qu’on soit autant impliqué qu’aujourd’hui. Sinon, on essaie de faire aussi bien que le paternel, parce que, lui, c’est quand même quelque chose ! » C’est peu dire. Puisque, à côté des bars, restaurants, hôtels et boîtes de nuit, Thierry Blanchart a aussi tâté du traiteur et de l’immobilier. Et là, depuis 2017, il est CEO de Dynali, à Nivelles. Une société qui fabrique des hélicoptères.
Voilà où se nichait le « h » envolé entre Blanchart et Art Blanc.
Art Blanc en chiffres
Douze: le nombre de lieux en activité que possède actuellement le groupe. L’Amusoir, Le Chalet de l’Amusoir, Le Bar de l’Amusoir, Le Couloir de l’Amusoir, La Cocotte Belge et Le Poncho, à Waterloo ; La Maison Basse, à Lasne ; Chez Eddy, à Rhode-Saint-Genèse ; Les Brasseries Georges, à Uccle ; le Spirito, à Ixelles ; le Mirano, à Saint-Josse et l’hôtel 20 Degrés Sud, sur l’île Maurice.
Deux: le nombre d’ouvertures de lieux prévues en 2025. La Bécasse, à Ixelles, deviendra en janvier le Grande Piazza et l’ancien Stamp Bar, à Waterloo, une brasserie familiale, style Marie Siska, à Knokke, avec plaine de jeux pour les enfants.
30 millions: le chiffre d’affaire 2023 (21 millions en 2022), réparti en 80 % via la restauration, 14 % via le clubbing, 9 % via les bars et 7 % via l’événementiel.
1 250 000: le nombre de visiteurs et visiteuses, de clients et clientes, si on additionne chaque lieu actuel du groupe.