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Qui sont les six cheffes étoilées belges?

La Belgique ne compte que six cheffes étoilées sur 153 restaurants primés par Michelin. Elles exercent toutes dans le sud du pays. Cette sous-représentation témoigne des freins qui empêchent encore les femmes à devenir des cheffes.

La gastronomie a toujours été un bastion masculin. En Belgique, le métier, comme tant d’autres, se féminise et l’Horeca s’approche de la parité. Mais, comme le souligne le Guide Michelin, les vocations féminines s’arrêtent très majoritairement au seuil des plus hautes responsabilités dans la cuisine. Pourtant, cela fait longtemps que le guide rouge reconnaît le talent de nos cheffes. Les plus anciens d’entre nous se souviennent de Patricia Desmedt et des deux étoiles de son restaurant familial ‘t Oud Konijntje à Waregem. Marie-Thérèse, sa maman, avait ouvert une brèche dans le bastion : elle fut la première femme étoilée en 1969 avant de décrocher un 2e macaron en 1980, récompense que Patricia conservera ou quasi jusqu’à la fermeture du restaurant, en décembre 2010. Les Desmedt ne sont pas les seules à avoir été honorées d’une 2e étoile. Rita De Spae, cheffe de l’Aquilon à Knokke, eut cet honneur la première en 1977. Depuis, Michelin a tiré l’échelle…

Depuis les années 1980, la Belgique n’a jamais compté plus de quatre ou cinq cheffes étoilées à la fois. Elles sont six aujourd’hui : Lydia Glacé (étoilée en 1996 – Les Gourmands à Blaregnies), Arabelle Meirlaen (2011 – Arabelle à Marchin), Stéphanie Thunus (2014 – Au Gré du Vent à Seneffe), Ricarda Grommes (2017 – Quadras à St-Vith), Manon Schenk (2023 – La Table de Manon à Marbehan) et Marie Trignon (2024 – La Roseraie à Modave). Six femmes qui exercent exclusivement dans le sud du pays et dont l’âge varie entre 31 et 74 ans. Six femmes avec des histoires différentes. Peu de gens savent que Lydia Glacé est aux commandes des Gourmands. Et pour cause, dans tous les événements, comme, par exemple, Festifood, le festival culinaire organisé à Mons, c’est Didier Bernard, le co-chef, qui est mis en avant.

« Nous sommes à deux en cuisine depuis l’ouverture du restaurant il y a 34 ans, explique Lydia Glacé. Nous créons et préparons tout ensemble. Avec Carlo Zecchin, mon mari (élu meilleur sommelier de Belgique en 1978, NDLR), et Didier, nous avons créé un collectif qui est l’âme de la maison. Moi, je n’aime pas la publicité. Je préfère rester dans l’ombre. » Eminemment respectable, cette discrétion n’est pas de nature à susciter des vocations. Pourtant, les jeunes d’aujourd’hui ont beaucoup à apprendre d’une cheffe qui envoie des sauces invraisemblables (ah ce homard à la carbonara !) et qui est une pure autodidacte malgré un court passage au Vénitien, le resto italien de ses beaux-parents à Frameries devenu aujourd’hui un supermarché.

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Etoilée depuis 28 ans, Lydia Glacé préfère l’ombre à la lumière. Elle est pourtant une jolie source d’inspiration – © PG/JP Gabriel

L’audace et la volonté des cinq autres cheffes sont, en tout cas, un joli pied de nez à l’assertion du Michelin. Ricarda Grommes a ouvert, à quelques mètres de son restaurant, la Ohles Lifestyle Guesthouse, une maison d’hôtes de six chambres. Stéphanie Thunus vient de débuter une refonte totale de son restaurant avec ajout d’une nouvelle salle vitrée. « C’est un peu de la folie ce que nous faisons mais nous aimons la folie », sourit la cheffe quadragénaire. « L’idée est de se passer de la salle à l’étage qui est pénible en termes de service, de la réserver uniquement aux séminaires et de conserver les 50 couverts au rez-de-chaussée. La salle actuelle sera partiellement transformée en salon apéritifs et cafés. »

Tout devrait être prêt pour le début de l’été. En attendant, le Gré du Vent vient de prendre ses quartiers chez Ruffus, le vignoble wallon mondialement connu. Stéphanie Thunus sert uniquement des menus avec une carte des vins réduite. Manon Schenk, elle, va suivre les traces de Ricarda Grommes et, avec son associé, David Delmas, va ouvrir cet automne quatre ou cinq chambres d’hôtes dans une maison récemment achetée à un km du restaurant.

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Dans sa cuisine du Gré du Vent, Stéphanie Thunus gère une équipe où règne la parité hommes/femmes. Un signe des temps. – © PG/JP Gabriel

« L’étoile de l’an dernier suivie du titre de Lady Chef of The Year m’a amené une incroyable notoriété », sourit Manon Schenk. « La Table de Manon a engendré un tourisme de destination. Les gens ne réservent plus un gîte ou un hôtel avant de chercher un resto mais s’assurent d’abord une table dans mon resto. Alors, oui, nous avons décidé de leur offrir le package complet. Cela va nécessiter l’engagement d’une personne supplémentaire mais cela va me permettre d’assurer le service du petit-déjeuner. J’adore confectionner des brioches et des viennoiseries. Cela me rappelle mon enfance et l’odeur des boulangeries de mes oncles en Alsace. »

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Alsacienne d’origine, Manon Schenk va rajouter, cet automne, des chambres d’hôtes à son restaurant qui ne désemplit pas
– © PG/JP Gabriel

Quant à Arabelle Meirlaen, son grand projet a été réalisé il y a dix ans. Elle a déplacé son resto étoilé appelé à l’époque Li Cwerneu (le sonneur de corne en wallon) de la grand-place de Huy à une maison qu’elle a construite patiemment avec Pierre Thirifays, son sommelier de mari. L’établissement a alors pris le nom d’Arabelle. « Nous avons déménagé pour des raisons familiales. Je venais d’avoir ma deuxième  fille et le studio au-dessus du resto n’était plus adapté. »

« J’ai déménagé pour gérer, de front, ma vie de cheffe et de maman. »

« Le resto est au rez-de-chaussée, nos espaces de vie aux étages. Au cours du temps, mes clients se sont habitués à voir deux souris en pyjama longer les murs du restaurant pour venir nous faire le bisou de la nuit. Ceci dit, quand Michelin m’a octroyé mon étoile dans mon petit resto hutois, c’était la preuve qu’il ne faut pas forcément investir des millions pour être primé. Mais il faut en vouloir. »

Pour sûr, Marie Trignon en veut. Pas question pour elle de laisser partir la Roseraie, le resto familial créé par son papa Vincent et sa maman Madeleine en octobre 1982 à Modave. Il y a 8 ans, cette traductrice de formation devenue décoratrice d’intérieur en Grande-Bretagne a repris, à 36 ans, des cours de cuisine à la Tante Marie Culinary Academy dans le Surrey. Formation qu’elle a agrémentée de stages dans le restaurant tri-étoilé d’Alain Ducasse au Dorchester à Londres. Elle est revenue dans la cuisine de papa en 2018 avant de signer son premier menu à l’été 2019. Ce 26 février, Michelin lui a méritoirement accordé une première étoile.

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Après une reconversion complète, Marie Trignon, 44 ans, vient de recevoir sa première étoile Michelin – © PG/JP Gabriel

« Je n’en reviens pas », confie-t-elle toute émue. « C’est la cerise sur le gâteau d’une transmission réussie. C’est aussi l’aboutissement d’un projet familial. Daniel, mon mari britannique qui travaille chez Standard & Poor’s depuis 20 ans, vit désormais au-dessus du restaurant avec nos enfants. Son employeur a accepté de le transférer en Belgique. »

En vouloir, c’est aussi s’imposer dans un milieu qui demeure un bastion masculin. « La différence, c’est sans doute que nous, les femmes, ne cherchons pas le trophée », confie Arabelle Meirlaen. « Depuis l’âge de pierre, les hommes chassent le trophée. Nous sommes plus réservées et plus prudentes. Michelin m’a reproché ne pas assez exprimer ma singularité. Oui, je me fais rare dans la presse ou ailleurs mais c’est volontaire. Je choisis mes expositions. »

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Dix ans après avoir déménagé son restaurant dans la maison familiale à Marchin, Arabelle Meirlaen se sent prête à gérer une 2e étoile. – © PG/JP Gabriel

Arabelle Meirlaen, au caractère bien affirmé, avoue n’avoir jamais laissé les hommes lui marcher sur les pieds, même à l’école hôtelière. Quant à Stéphanie Thunus, elle a connu des expériences similaires et a tenu bon. « A mes débuts, à la Maison du Cygne à Bruxelles alors étoilée, nous étions deux nanas pour 15 mecs. On en a bavé. Je faisais quelque chose de travers, on me tirait l’oreille. Nous devions nettoyer ce que les hommes mettaient par terre. Parce que nous étions des femmes. Ils nous laissaient porter toutes seules les énormes casseroles en cuivre d’un étage à l’autre par un escalier en colimaçon. Au bout de six mois, comme je n’ai jamais rien lâché, ils m’ont respectée. Cela a bien changé, dans toutes les maisons. Au Gré du Vent, j’ai la parité en cuisine. »

Stéphanie Thunus, pour réussir, a pu s’appuyer sur son mari Sébastien Guchet qui travaille en salle, sur ses parents et sur sa maman qui, aujourd’hui, gère le petit hôtel attenant. Mais elle admet que cela n’est pas simple tous les jours. « J’ai abandonné une partie de mon rôle de maman à d’autres dont une nounou. Ce n’est pas donné émotionnellement à toutes les femmes sans doute. Votre cœur se fend quand vous devez aller travailler et que vos enfants pleurent en tirant sur votre tablier… ».

« Votre coeur se fend quand vous devez aller travailler et que vos enfants pleurent. »

Ce rêve de maternité, Manon Schenck l’a mis, entre parenthèses. D’autant qu’elle s’est séparée de David Delmas, demeuré son ami et associé. « Le métier nous a, en partie, séparés. 14 ans de vie de couple et ensemble 24/7, à la longue, c’est pesant et n’autorise aucune respiration vu la dureté du métier. Je me lève à 7 h et me couche à 1h30. Où est la place d’un enfant dans tout cela ? Les jours de fermeture, je participe à des jurys, des collaborations et des événements. J’ai besoin de cela pour ouvrir mon horizon et puiser de l’inspiration. L’étoile m’a aussi apporté l’adoubement par mes pairs. J’en profite aujourd’hui. J’ai toujours voulu avoir mon resto et une étoile. J’ai commencé à 15 ans et j’y suis aujourd’hui. »

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