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Leona Erziak, la petite fille qui regardait sa mère coudre

Après avoir équipé de ses sacs ou chaussé Beyoncé, Katy Perry ou Jennifer Lopez, habillé les princesses les plus fortunées, Leona Erziak se lance dans la haute couture à Paris. Un rêve pour la petite fille qui regardait sa mère coudre pour vivre. Un parcours hors du commun surtout pour cette Belgo-Marocaine née près du Botanique à Bruxelles.

Il y a du Coco dans ce destin, peut-être du Chanel dans son dessin. L’avenir le dira. Parce que l’histoire n’est pas finie. Beaucoup demeure à écrire. Mais les premiers chapitres valent déjà le détour…

Il était une fois une petite orpheline née à Bruxelles voici… « Chut, ne le dites pas », murmure-t-elle. Leona Erziak, chevelure de jais, yeux foncés, joues chaudes comme la Méditerranée, est fille de deux immigrés marocains. Papa est potier marrakchi. Maman est issue de l’aristocratie tangéroise. Le Nord et le Sud chérifiens. Un conte de fée à la Disney. L’artiste et sa belle décident de quitter le soleil pour la pluie. Pour une autre vie. Une autre ville. Ce sera Bruxelles. Où naît Leona. « On habitait le boulevard des Italiens », se souvient-elle. « On l’appelait comme ça car il y avait beaucoup d’Italiens. » Derrière le sobriquet enfantin se cache la rue Saint-François, fine artère plongeant de la rue Royale vers la Jonction ferroviaire. Leona fréquente la petite école 23, de l’autre côté de la Gare du Nord, dans la rue Nicolay.

« Mon papa travaillait chez Simon du Chastel de la Howarderie (qui fondera l’Espace européen pour la sculpture, NDLR). Il habitait dans un château à Watermael-Boitsfort. » Le chatelain est avocat et surtout passionné par la sculpture et la céramique. « Mon papa l’a aidé sur le plan artistique. Nous allions parfois jouer chez lui. C’était une belle période… » Une belle période qui prend fin dramatiquement : le cancer emporte le potier marocain sans préavis. A l’aube de la quarantaine. Leona n’a pas encore soufflé ses sept bougies

« J’ai très vite compris qu’il fallait que je réussisse. Ce que la société appelle réussir brillamment »

La veuve aux doigts de fée

« Ma mère était une femme intelligente, brillante, aimante et résiliente. Elle ne se plaignait jamais. Elle était mon modèle et ma muse. Elle n’était pas plus intelligente que moi : si elle pouvait le faire, moi aussi je pouvais le faire. » La veuve et ses huit enfants affrontent l’absence et la rudesse de la monoparentalité. « J’ai très vite compris qu’il fallait que je réussisse. Ce que la société appelle réussir brillamment. Parce que je m’étais dit : ‘je vais devoir m’occuper de ma maman’. On a toujours eu à manger, on a toujours reçu beaucoup d’amour. Je ne sentais pas la précarité. C’est juste qu’on apprend à faire à manger plus jeune. Quand on vient d’une famille nombreuse, il faut s’entraider. On vit dans une sorte de micro-société et donc forcément, on développe des choses. C’est tout bête, mais un frigo qui s’ouvre sur le dernier yaourt, on ne le prend pas parce qu’on se dit ‘ah ! c’est le yaourt aux cerises. Mon frère Saïd adore. Je vais le lui laisser’ ».

La mère de Leona coud. Ses clientes défilent dans la maison. Par la magie de l’aiguille et des doigts qui la guident, les tissus deviennent chemisiers, robes, jupes, caftans… Sous le regard admiratif de Leona. « Ma mère avait appris la couture au Maroc chez des sœurs espagnoles. Elle tissait avec ses mains et même avec ses pieds ! Elle faisait des vêtements européens et orientaux. » Et la petite fille de rêver de strass et de paillettes en regardant sa mère créer ces habits.

« Surtout les filles, ne faites pas ça, ne faites pas les artistes, mettez un toit sur votre tête »

« Soyez indépendantes financièrement »

La petite fille devient adolescente. « Révoltée et justicière ». Puis viennent les choix de vie. « Je ne savais pas ce que je voulais faire. J’étais passionnée par la mode et la couture. Mais ma mère refusait que je prenne cette voie. Elle nous disait : ‘surtout les filles, ne faites pas ça, ne faites pas les artistes, mettez un toit sur votre tête, soyez indépendantes financièrement, achetez une maison, mettez à l’abri vos enfants, après vous pourrez devenir artistes’. Je ne l’ai pas écoutée pour beaucoup de choses dans ma vie, mais sur ce coup-là, je l’ai écoutée. Et je ne le regrette pas. Parce que c’est ce que j’ai fait. »

Leona Erziak entre à l’Université libre de Bruxelles en journalisme et communication. « Les auditoires étaient immenses. J’étais un numéro. Je me perdais. » Elle échoue et se replie sur une école supérieure. Diplômée en communication et en relations internationales, elle part pour Londres « parce qu’il fallait que j’améliore mon anglais ». Les petits boulots s’enchaînent : vendeuse, serveuse… « Je me sentais à l’étroit à Bruxelles. Je ne me voyais pas dans une villa à Rhode-Saint-Genèse. L’idée, c’était le monde. Et, pour avoir le monde, il fallait pouvoir parler anglais de manière décente. Je suis partie avec en poche de quoi vivre deux semaines. »

La langue de Shakespeare dans la tête, retour à Bruxelles. « Je bosse dans une boîte d’événementiel. Ma patronne avait dix ou quinze ans de plus que moi. Le salaire était correct mais je me disais: ‘Cette femme n’est pas plus intelligente que moi. Ce qu’elle fait, je peux aussi le faire’. Très vite j’ai compris. »

Elle démissionne. Et part comme bénévole avec une ONG au Kenya. « J’ai déchanté au bout d’un mois parce que c’était une organisation s’occupant de mères qui abandonnaient leurs enfants. La plupart étaient sidéennes et prostituées. Je n’étais pas du tout formée pour affronter cela. »

Leona Erziak
© Leona Erziak

Le rêve américain

Leona clôt l’épisode kenyan par une traversée du continent africain avant de rentrer en Belgique. Quelques mois plus tard, elle décide de s’envoler pour New York. « Mon frère avait monté sa boîte dans les vêtements de sport. » Elle lui sert de relais aux Etats-Unis. « A New York, je me rend compte qu’il faut que je mette mes plans en pratique, que je gagne de l’argent. J’ai demandé à un ami qui travaillait dans l’immobilier de m’apprendre le métier. » Elle multiplie les stages gratuits, écoute, observe. « J’étais une gamine, j’avais une vingtaine d’années. J’ai tout appris. Je travaillais dans l’immobilier d’investissement. Puis ils m’ont engagée. Un an plus tard, j’ai monté ma propre boite avec ma sœur, Hanna. J’avais un portefeuille d’investisseurs et nous faisions des placements immobiliers pour eux. J’ai fait des deals, des deals et encore des deals. »

En 2008, alors que Leona est enceinte, la crise des « subprimes » éclate. « Le monde s’écroule; je me chope des ulcères parce que je dois gérer des sommes astronomiques d’argent ; ma santé en prend un coup parce que contrairement à beaucoup de mes confrères à l’époque qui eux s’en fichaient, moi je ne m’en fichais pas. »

La crise éclate mais le conseil maternel a été appliqué. Leona est à l’abri du besoin. Et la passion de ressurgir : « Je propose à ma sœur de nous lancer à deux dans la mode. On n’avait plus de problèmes d’argent. On pouvait se permettre de ne plus travailler. C’était donc le moment ou jamais. »

« On rêve de haute couture mais on se l’interdit »

Des sacs et des chaussures

La marque « Lena Erziak » – contraction de Leona et Hanna – naît en 2009. « On rêve de haute couture mais on se l’interdit. Beaucoup de gens ont le syndrome de l’imposteur. On n’y échappe pas. Donc on n’ose pas. » Les deux sœurs sont « folles d’accessoires ». Ce seront donc des sacs et des chaussures. « On a tout financé nous-mêmes. » Et c’est le succès immédiat. « Très vite,  des stylistes et des célébrités s’arrachent nos sacs. On est la marque qui se fait remarquer. » Beyoncé, Katy Perry, Jennifer Lopez, entre autres, se promènent avec un « Lena Erziak » au bras. Pourtant, tout s’arrête net en 2013. « Alors qu’on est en pleine ascension, on vit toutes les deux un drame personnel. » Le duo décide de se retirer. « On se met au vert. Tout le monde nous disait que c’était suicidaire. Mais nous ne pouvions faire autrement. » La parenthèse dure près de trois ans. Le temps de la reconstruction. « On émerge peu à peu. On en profite pour apprendre, se former. Je m’inscris en architecture d’intérieur à l’université de New York. Hanna rentre en Europe. » 

Lena Erziak ressuscite en 2016. Les sacs font place aux chaussures. « On a étudié, on a été dans des usines, chez des artisans, en Italie, en Espagne ; on a travaillé avec des ingénieurs en Allemagne sur l’ergonomie du pied, pour comprendre comment fonctionne une chaussure. » Malgré l’absence, la marque et ses escarpins fabriqués à la main en Italie renouent avec le succès. Après les sacs, les stars portent les chaussures – qui se vendent entre 700 et 1.800 euros la paire.

« Le Covid nous a coûté cher. On a morflé. En même temps, c’est génial parce qu’on a reculé pour mieux sauter »

Dans la chambre parisienne

Leona Erziak brille avec ses accessoires mais le rêve de petite fille ne s’est pas évanoui. Lorsque le virus surgit en 2020 et met la planète au tapis, l’occasion se présente. L’occasion de changer, d’évoluer encore, de viser toujours plus haut. « Le Covid nous a coûté cher. On a morflé. En même temps, c’est génial parce qu’on a reculé pour mieux sauter : une agence de communication m’a approchée afin de représenter ma marque, et au cours de nos échanges, je leur ai expliqué que j’avais le projet de créer une collection capsule de couture et de la présenter à Hollywood. Ils m’ont proposé de réaliser une véritable collection haute couture et de venir la présenter à Paris. » Leona réalise quelques robes portées lors du Festival de Cannes. La machine est lancée. Une première collection est présentée. Et consécration : la chambre syndicale de la couture parisienne, soit celle qui réunit tous les grands de la haute couture, de Chanel à Dior en passant par Givenchy, l’invite à défiler à Paris.

Leona Erziak
© Leona Erziak

Parallèlement, une autre mutation se produit. « Pendant le Covid, mon fils de douze ans m’apostrophe et me dit « c’est quand même incroyable, maman : tu es dans l’une des industries qui polluent le plus au monde ; comment tu te sens par rapport à ça ? C’est une gifle pour moi. Il faut que je change quelque chose. Je dois faire quelque chose pour la planète. » Leona Erziak décide d’arrêter de produire à la chaîne. « Je ne travaille plus que sur commande. » Et de ne plus utiliser que des produits recyclés. « J’emploie des cuirs qui sont déjà produits et qui vont partir à la casse. Je prends ce qui est déjà sur le marché parce que notre industrie génère beaucoup de déchets. Avant je pouvais faire toutes les folies que je voulais mais je me suis dit que si j’étais vraiment créative, je devrais l’être avec des matières qui existent déjà et être capable de faire du beau avec de l’existant. »

Aujourd’hui, Leona Erziak prépare son quatrième défilé dans la Ville Lumière. Et songe à y acquérir un hôtel particulier pour loger sa maison de couture. « Pour l’instant, mes équipes sont partagées entre New York et Paris. » Et les clientes défilent. Du monde entier pour s’offrir une Erziak. « Ce sont des princesses, des femmes d’affaires, des stars… » Prix de départ d’une parure sur mesure : 9.000 euros. « Mais ça peut monter très vite en fonction des matières. » Les ventes suivent : en 2023, Lena Erziak a réalisé 15 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Leona Erziak
© Leona Erziak

La petite fille qui regardait sa mère coudre a réalisé son rêve. « J’ai de la chance. Je suis très heureuse d’être née en Belgique. Je me sens belgo-marocaine. C’est mon identité. Je suis d’ici et de là-bas. Dans ma vie, le couscous au tajine se mélange très bien à la côte de veau avec des frites. Ma famille est musulmane mais je fête aussi l’Aïd que Noël aussi ou les fêtes juives car le père de mon fils est juif. Je suis multiple… »

Leona Erziak
© Leona Erziak

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