Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, nous emmène dans son quartier, les Marolles entre le Sablon et la place du jeu de balles. A travers ce joyeux dédale bruxellois, c’est une balade dans son parcours de vie qu’il nous offre.
Guillaume Pierre Wunsch a posé ses valises dans un quartier qui assume de ne ressembler qu’à lui-même. Voici près de trente ans, le gouverneur de la Banque nationale de Belgique ou plutôt le jeune cadre de l’époque aspirait à trouver un logement accessible dans un quartier cosmopolite. Objectif : adoucir l’expatriation de sa femme espagnole au plat pays. Ce seront les Marolles, en plein cœur de Bruxelles.
Pierre Wunsch est attablé au Pain quotidien, en face de l’église Notre-Dame. « Mon père m’appelait Guillaume-Pierre lorsqu’il était fâché et ma mère m’appelait Pierre car elle n’aimait pas ce prénom. C’est une histoire qui commence bien! », s’amuse-t-il. Sa famille a arpenté différents chemins, à l’instar de ce joyeux dédale pour descendre du Sablon aux Marolles. L’histoire belge des Wunsch débute lorsque son grand-père, un Autrichien de bonne famille désargenté épouse une jeune fille ouvrière de Tilleur, près de Liège. Recherché par les Allemands, le couple s’exile au Canada puis revient en Belgique quelques années plus tard pour soigner le mal du pays. La famille vit alors avec des moyens modestes. Son père entame toutefois des études universitaires, ce que sa mère, vu son milieu d’origine et sa condition de femme, n’a pu faire, « alors qu’elle était très intelligente et en avait certainement les capacités », confie-t-il. Pierre Wunsch naît dans un environnement nouvellement aisé dans lequel on lui inculque un rapport réaliste à l’argent et la curiosité intellectuelle souvent propre aux habitants de la bulle de Louvain-la-Neuve.
Un peu à l’image de chez Richard, un établissement du Sablon où sa femme aime le retrouver pour son ambiance authentique, où conversent bourgeois et bohèmes.
Il pose un regard gourmand sur vitrine de Tarte Françoise où il se fournit en gâteaux « surtout ceux à base d’amandes » pour les jeux de rôle du week-end avec ses amis, un exutoire qu’il préserve religieusement. « Le travail est une partie de ma vie et pas la plus importante. J’ai besoin de passer du temps avec ma femme, mes enfants, mes copains. A un moment, l’un de mes fils a connu des difficultés scolaires, j’ai été en mesure de lui consacrer des heures de grammaire, d’orthographe, de mathématiques. »
Nous arrivons à la frontière des deux mondes, au niveau de Notre Dame de la Chapelle où perce un morceau de ciel rose. Au début de la rue haute se défient logements sociaux et des boutiques pointues. Les clients de ces commerces n’habitent pas le quartier et viennent s’y fournir le week-end, comme une excursion dans ces contrées exotiques. Un Lidl trône au début de la rue Haute comme pour narguer de son implacable réalisme les cafés branchés aux alentours. « Ce quartier a un charme très bruxellois avec ses brics et ses brocs. Il manque juste de lieux communs à tous ces univers. L’aménagement urbain est un défi », observe-t-il. L’homme partage ses préoccupations autour de la polarisation du débat public « Nous vivons dans la dictature du ressenti, avec une prime à l’expression de la sensibilité la plus exacerbée. L’opinion de quelqu’un qui vit les choses en prenant du recul sera vue comme moins intéressante. »
Le gouverneur met en garde contre le danger des étiquettes. « C’est d’une violence inouïe qui peut mener jusqu’à douter de qui l’on est. Pire encore, plus on se justifie pour prouver qu’on n’est pas cette personne, plus on s’enferme dans la logique de ladite case. Nous devons trouver un moyen de continuer à s’intéresser à une personne et son vécu sans la mettre dans une case pour autant ».
Il poursuit : « Derrière ces ressentis, il y a de véritables sujets : Metoo, l’écologie, black lives matters, qui méritent d’être adressés en tenant compte de la complexité inhérente à ces questions. » Sujets hautement anxiogènes pour les quelques jeunes croisés à cette heure entre chien et loup. Pierre Wunsch évoque Jung et l’excès de choix comme source potentielle de stress, cette urgence du sens et de réalisation de soi propre à notre culture et à cette époque, selon l’ouvrage W.E.I.R.D, écrit par un anthropologue et qu’il lit en ce moment. Il contextualise cette question de ‘trouver sa place’. « Le marché du travail est plus favorable aux jeunes, pourtant trop semblent ne pas y trouver leur compte. On a peut-être loupé quelque chose quand on voit aussi la défiance des institutions, la fragilité de la démocratie. Allez trouver du sens alors que Trump risque d’être réélu, la guerre sévit encore en Ukraine et à Gaza… ».
« Penser que tout est une question de mérite revient à oublier que certains n’ont juste pas eu de chance.
Ou en ont eu. »
Une marche à rythme soutenu (il faut maintenir la moyenne de 5000 pas par jour) débouche sur le resto à tapas où il dîne de temps en temps avec son épouse. C’est elle qui lui a fait remarquer que sa première expérience comme chef de cabinet d’un ministre bruxellois ne lui convenait pas. « Je n’étais pas mature à l’époque, j’ai fait un pas de côté. » Un doctorat en économie, 8 ans chez Electrabel où il finit par diriger une équipe de 100 personnes, 5 ans de cabinet politique pour un ministre des finances n’ont formé un ensemble logique que lorsqu’il est devenu gouverneur de la BNB. Chance ou mérite ? Il cite l’ouvrage sur la tyrannie du mérite de Sandel « Penser que tout est une question de mérite revient à oublier que certains n’ont juste pas eu de chance. Ou en ont eu. »
La promenade se poursuit rue Blaes, où les antiquaires font la transition avec les puces de la place du jeu de balles pendant la semaine.
« Le débat sur l’égalité des chances reste très politique et doit être adressé de façon adulte. Quoiqu’il arrive, ce sera toujours plus intéressant avec un marché du travail porteur ». Revoilà le gouverneur.
« On ne devient certes pas gouverneur sans avoir travaillé. Je n’ai jamais posé de choix tactiques pour ma carrière, certaines choses me sont quasi tombées dessus. J’ai eu de la chance : Peter Praet quittait la BNB, j’étais au bon endroit, au bon moment. »
La promenade se termine sur une terrasse qui offre du soleil en fin de journée pendant la belle saison. Si vous y trouvez une place, chance ou mérite, prenez-la…