Yves-Bernard Debie est avocat bruxellois international, spécialiste du monde de l’art. Trois arrêts de la Cour d’appel de Bruxelles feront date. Il nous en
explique les enjeux.
Qu’apportent ces décisions ?
Ces trois arrêts consécutifs rendus les 4, 25 et 26 juin par la Cour
d’appel de Bruxelles (chambre des mises en accusation) sanctionnent sévèrement
les procédures engagées par la Direction générale de l’Inspection économique (la
DGIE) à l’encontre des marchands d’art antiques de Bruxelles et de leurs
collectionneurs.
En janvier 2020, la DGIE, forte de prérogatives antérieurement confiées à la cellule «
Art » de la Police fédérale, avait organisé une descente brutale et savamment
médiatisée, au mépris du secret de l’information et de l’instruction, lors de la BRAFA
(Brussels Art Fair). Usant et abusant de ses pouvoirs d’investigation et de contrainte,
la DGIE a suivi un schéma bien arrêté : saisies, interrogatoires, photos prises sur les
stands, transmission d’informations aux pays prétendument d’origine, invitation à
revendiquer des œuvres forcément pillées. Les inspecteurs, ne se bornant pas aux
cimaises de la BRAFA, poursuivraient leur croisade dans les galeries du Sablon et
les salons des collectionneurs.
Quelle était leur logique ?
Rien ne pouvait les convaincre de la légalité de ces œuvres. Toute antiquité
était forcément pillée et, si elle provenait du Moyen-Orient, ce « pillage » avait
forcément financé le terrorisme via une organisation criminelle internationale dont
toutes les études, notamment un rapport du Trésor américain (2022), démontrent
l’inexistence et souligne : « l’utilisation peu fréquente d’espèces sur le marché de
l’art et les obligations des entités financières et commerciales font du marché
institutionnel de l’art un mauvais vecteur pour le blanchiment de produits illicites ».
Circonstance aggravante : la méconnaissance historique de nos inspecteurs, pour
qui toute œuvre romaine était forcément italienne et pillée, oubliant que l’empire
romain, à son apogée, englobait presque toute notre Union européenne et le Moyen-
Orient ou que des pharaons « noirs » avaient présidé aux destinées de l’Égypte,
depuis ce qui est aujourd’hui le Soudan.
Quelles ont été les conséquences ?
Parquet et juges d’instruction, habitués à des enquêtes professionnelles, s’étaient
laissés convaincre par ces inspecteurs d’ordonner des mesures d’enquête sans
pouvoir mesurer, faute de temps et de moyens, le détournement de procédure dont
ils étaient victimes, au même titre que les marchands, à un degré différent.
Les pays « sources », autorisés à revendiquer sans titre ni droit des œuvres pourtant
détenues en collection en totale légalité, ont flairé l’aubaine. Le message des
inspecteurs de la DGIE semblait clair : revendiquez la propriété de tel masque ou de
tel vase en vous appuyant sur des instruments légaux internationaux censés faciliter
l’entraide judiciaire et nous vous l’accorderons. Dès lors, comment blâmer l’Égypte
ou l’Italie, puisque c’était « open bar » ?
Qu’ont fait les magistrats ?
La pugnacité des marchands et collectionneurs et la rigueur des magistrats de la
Cour d’appel de Bruxelles, éclairés par des réquisitions très justes d’une procureure
fédérale, a eu raison de ce viol de toutes les règles de la propriété, des règlements
internationaux et des droits fondamentaux. Suivant en cela un arrêt très ferme de la
Cour d’appel de Berlin du 7 février 2020, relevant et sanctionnant les revendications
douteuses de l’Italie en matière d’œuvres antiques, les magistrats de la chambre des
mises en accusation ont rappelé le droit qui s’attache aux demandes d’entraide
internationale, constaté les irrégularités de procédure, refusé les restitutions
sollicitées, levé les saisies et rendu les œuvres à leurs propriétaires. En outre, dans
son arrêt du 26 juin, la chambre des mises en accusation, modifiant sa jurisprudence,
permet désormais à un marchand d’art, en sa qualité de dépositaire, et non plus
seulement à son propriétaire, de solliciter la mainlevée de la saisie d’un bien confié à
la vente par un collectionneur.