Son nom fait référence à une divinité protectrice de la forêt dans la mythologie finlandaise. Tapio, c’est la scale-up bruxelloise fondée en 2019 qui s’est rapidement imposée comme une pionnière de la climate tech en Europe. Son rôle ? Aider les entreprises à gérer leur stratégie climatique en mesurant leurs émissions de CO2, puis en imaginant des solutions pour les réduire au maximum.
Une initiative qui fait écho au Pacte Vert européen, dans lequel la Commission a adopté un ensemble de propositions afin de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030 (par rapport aux niveaux de 1990). L’objectif ? Atteindre la neutralité carbone en 2050. Une telle ambition implique des changements radicaux, notamment du côté des entreprises. Pour les aider, Tapio a développé une plateforme en ligne offrant un logiciel de gestion de carbone en trois temps : compréhension de la situation climatique, mis en place d’un plan adapté, et communication autour de celui-ci.
Du bilan comptable au bilan carbone
« Il existe déjà des logiciels gratuits pour les personnes physiques. Nous, nous nous adressons aux organisations, aux entreprises, aux villes… », explique Louis Collinet, CEO de Tapio. « C’est un peu comme une entreprise qui travaille avec un comptable. D’ailleurs, le vocabulaire est très similaire, on parle de « bilan carbone » ou d’« expert carbone ». Sauf que la comptabilité extra-financière, c’est-à-dire celle qui mesure non pas la santé financière d’une entreprise, mais plutôt sa performance environnementale, sociale ou de gouvernance, a bien une dizaine d’années de retard sur sa grande-soeur ». Leur credo ? « Mesurer, c’est savoir ». Or, l’immense majorité des entreprises ignorent encore leur niveau d’émission.
Pour pallier cette carence, Tapio propose deux ressources : un outil, et un service. L’outil se présente comme un calculateur de bilan carbone. Il s’agit de transformer toutes les activités nécessaires de l’entreprise en CO2. Différents pans sont concernés : mobilité, immobilier, logistique… Une fois qu’une photographie claire des émissions de CO2 sur une année a été obtenue, il s’agit de définir un objectif et un plan d’action pour arriver à améliorer la situation, à l’image d’un bilan financier finalement. Tapio propose différents leviers à activer. Il suggère des fournisseurs de services spécifiques par exemple, met les entreprises en contact avec des experts capables de les accompagner sur la durée, ou propose des façons d’adapter la façon de fonctionner des fournisseurs actuels. « Il peut s’agir de petits changements, comme passer de la voiture essence à la voiture électrique ou passer d’une chaudière à une solution de pompe à chaleur, mais aussi de plus gros bouleversements, comme se sourcer dans un autre pays pour un producteur de chocolats afin d’améliorer l’impact CO2 de sa chaîne d’approvisionnement », explique Louis.
Chopard, Audemars Piguet, Kiabi…
Construite il y a bientôt cinq ans, la startup a été financée par différents investisseurs tels que Nicolas Debray, Olivier Witmeur ou Gabriel Goldberg et autres business angels à une hauteur de 250 000€. En 2022, Tapio reçoit l’Innovative Starters Award 2021, accompagné d’un subside de 500 000 euros pour continuer à financer son projet. Cette année, ils atteindront enfin l’équilibre financier, avec un million d’euros de revenu récurrent de licence. Aujourd’hui, l’entreprise est en « pré-phase d’accélération », pour citer les mots de son CEO. « Maintenant que le projet tourne, nous aimerions accélérer sa croissance à l’international, notamment via un programme appelé Partenaire où des partenaires tiers, tels que des cabinets de conseils, pourront utiliser les outils de Tapio avec leurs clients ». Une bonne façon de répliquer leur modèle sur différents marchés.
Pour le moment, l’entreprise belge compte 20 employés et près de 200 clients en Belgique, mais aussi pas mal à travers le monde, de l’Europe au Canada en passant par l’Inde. Leur cible ? Des entreprises qui possèdent déjà une certaine taille et une certaine ancienneté. Parmi les belges, on citera Roularta, Partena Professionals, Chopard, Audemars Piguet, Tom&Co ou Kiabi. En moyenne, un bilan carbone simplifié s’élève à quelques milliers d’euros, dont une partie est subsidiée par la Région. Le prix dépendra de la taille de l’entreprise et de l’ampleur du projet. La première licence débute à 1 200€ par an, elle peut ensuite grimper jusqu’à 20 000€ pour une entreprise de 250 à 300 personnes.
Qu’est-ce qui motive les entreprises ?
Mais quel est l’intérêt pour les entreprises d’investir dans la décarbonisation ? Par conviction écologique bien sûr, mais – on le voit très souvent – cette dernière est souvent éclipsée au profit des intérêts financiers qui privilégient les gains à court terme au détriment de la durabilité. « Pour moi, il y a deux façons de le voir : il y a les premiers et les derniers de la classe », explique l’entrepreneur. « Les premiers ont compris que le reporting extra-financier va devenir fondamental, et que s’équiper à ce niveau-là n’est qu’une question de bon sens, afin de rester compétitif, mais aussi attractif aux yeux des prêteurs, des investisseurs, des employés… On peut le comparer à la digitalisation il y a 25 ans, ceux qui n’ont pas pris le tournant n’existent plus pour la plupart. À l’inverse, ceux qui surfent sur la vague intelligemment seront certainement les entreprises de demain. Quant aux derniers de la classe, il s’agira de ne pas se prendre d’amendes ou de bad buzz. »
En effet, en Belgique, environ 2 800 entreprises seront concernées dès l’année prochaine par le CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Cette directive européenne vise à améliorer la transparence en matière de durabilité des entreprises. Elle remplace la précédente Non-Financial Reporting Directive (NFRD) et élargit son champ d’application. Elle impose aux grandes entreprises et à certaines PME cotées de fournir des informations détaillées sur leur impact environnemental, social et de gouvernance (ESG). Le CSRD leur imposera également de fixer des objectifs précis et de rendre compte de leurs performances au fil des années. « Il faut que ces 2 800 entreprises bossent avec Tapio l’année prochaine », affirme Louis Collinet. « Nous voulons devenir l’outil des experts en Europe, continuer à grandir et à accompagner des entreprises de plus en plus grosses, continuer à nous exporter en dehors de la Belgique, renforcer nos équipes, pour agir plus fort et plus vite. »