Vulcain, le plus grand dinosaure jamais présenté aux enchères, s’apprête, ce samedi, à trouver acquéreur. Estimé entre 3 et 5 millions d’euros par l’expert Eric Mickeler, tout indique que cet apatosaure d’une espèce inconnue battra les précédents records de ventes. L’Institut royal des sciences naturelles de Belgique s’est positionné pour accueillir Vulcain, le présenter au public et organiser sa description scientifique complète.
Samedi prochain, les commissaires priseurs Florent Barbarossa et Olivier Collin du Bocage présenteront aux collectionneurs du monde entier Vulcain, le plus grand dinosaure jamais vendu aux enchères. Si l’estimation initiale (entre 3 et 5 millions d’euros) peut paraître modeste pour un dinosaure de cette taille, tout porte à croire qu’il s’agira de la “vente du siècle” comme l’a baptisée Eric Mickeler, l’expert européen de la vente de dinosaures, chargé de son estimation par les deux commissaires priseurs.
Si le phénomène des ventes record de dinosaures était confidentiel jusqu’à il y a peu, il n’est pas nouveau. La première vente a avoir défrayé la chronique s’est tenue en 1997, lorsque Sotheby’s vendit pour 8,4 millions de dollars un tyrannosaurus complet. Cette enchère record ne fut battue qu’en 2020, lorsqu’un dinosaure de la même espèce, baptisé Stan, fut adjugé par Christie’s pour la somme folle de 38 millions de dollars.
Un marché qui se structure
Entre ces deux dates, les prix du marché du dinosaure se sont progressivement envolés : en 2008, Christie’s Paris vend le tricératops Cliff pour presque 600 000€, en 2010, Sotheby’s vend un squelette complet d’allosaurus pour 1 300 000€, en 2016, l’allosaure Kan, tombe sous le marteau d’Aguttes à Lyon pour 1,100 millions d’euros. Les choses s’accélèrent en 2018, lorsqu’une nouvelle espèce, cousine de l’allosaurus, est cédée aux enchères chez Aguttes pour plus de 2 millions d’euros. Ce spécimen baptisé par son propriétaire Arkhane est visible à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, à Bruxelles. Pour l’anecdote, son parrain est Belge puisqu’il s’agit de l’ancien coureur automobile Jacky Ickx. En 2020, Stan, que nous avons déjà évoqué, pulvérise l’ancien record de 1997. Cette année, avec un prix final de pratiquement 45 millions de dollars, le stégosaure Apex est devenu le fossile le plus cher jamais vendu aux enchères.
La cote des dinosaures est donc solidement à la hausse et la vente de samedi prochain ne semble pas prête à faire démentir la tendance.
Les raisons d’un succès
Eric Mickeler est ornithologue et paléontologue de formation. Il fut l’un des premiers à croire en l’intérêt du marché pour ce qu’il appelle des “reliques de l’histoire de l’humanité”. Pour lui, les raisons du succès sont multiples : “d’abord, ce sont des œuvres d’art naturelles, comme le proclamaient les peintres surréalistes.” Que de grandes galeries internationales comme David Aaron à Londres s’emparent de ces sujets plaide en effet en ce sens. Le marché, à travers les galeries ou les maisons de ventes, se structure assurément. Ensuite, selon Eric Mickeler, les dinosaures feraient d’excellents ambassadeurs commerciaux, des outils de communication et de soft power ainsi qu’une marque de prestige : “les entreprises qui les acquièrent bénéficient de la lumière et de l’aura de leur dinosaure” précise l’expert. Ce n’est n’est pas pour rien que l’homme d’affaires Belge Marc Coucke a personnellement acquis trois dinosaures pour son parc de Durbuy. Enfin, selon Eric Mickeler, de nombreux hedge funds s’intéressent également à ces placements dont la valeur, nous l’avons vu, est en nette augmentation.
La dernière raison est purement économique : alors que le nombre d’acquéreurs ne cesse de croître, celui des découvertes (une dizaine par an pas plus) ne progresse pas. Mécaniquement l’offre ne peut plus suivre la demande et les prix sont tirés vers le haut.
L’immortalité en ligne de mire ?
Mais en parlant avec notre expert, il est possible de déceler des éléments moins pragmatiques, plus romantiques, dans le succès des dinosaures : “La moyenne de l’âge des collectionneurs de dinosaures d’aujourd’hui se situe entre 35 et 55 ans. Ce sont les enfants de Jurassic Park d’hier. Ils ont grandi avec l’image du milliardaire fantasque et idéaliste John Hammond qui, dans le livre de Crichton, puis le film de Spielberg, ressuscite les dinosaures pour les offrir au grand public.”
La possibilité pour les propriétaires de participer à la dénomination d’espèces encore inconnues pourrait être un facteur supplémentaire d’intérêt de la part des collectionneurs. “Être en capacité de baptiser un dinosaure millénaire, c’est faire un pas vers une forme d’immortalité ou de reconnaissance éternelle” avance Eric Mickeler. En effet, si les fortunes des milliardaires se font et se défont, les fossiles de dinosaures nous sont parvenus après des millions d’années, et l’on peut raisonnablement penser qu’ils demeureront aussi longtemps. Donner un nom à un dinosaure, c’est donc s’offrir une forme d’immortalité. C’est ce qu’avait fait l’homme d’affaires américain Andrew Carnegi lorsque son spécimen de diplodocus, alors unique, devint le diplodocus carnegii. Si la compagnie ferroviaire qui fit la fortune d’Andrew Carnegi n’existe plus depuis longtemps, le diplodocus qui porte son nom se charge de maintenir ce patronyme à la postérité.
Vulcain, bête de record
Et c’est justement l’un des attraits de la vente de samedi prochain. En effet, l’apatosaure Vulcain dont il sera question appartient vraisemblablement à une espèce encore inconnue et devra faire l’objet d’une description scientifique complète qui aboutira certainement à une nouvelle dénomination à laquelle sera évidemment associé son propriétaire.
Mais, selon Eric Mickeler, ce n’est pas le seul atout de Vulcain, loin s’en faut. Et c’est d’ailleurs ce qui lui fait dire que nous sommes peut-être à l’aube de la vente du siècle. “L’une des premières raisons du succès d’un dinosaure aux enchères, c’est sa taille”. Et avec ses 20 mètres de long, pas de doute, Vulcain l’apatosaure, est le plus grand dinosaure jamais vendu aux enchères, ce qui lui assurera déjà à coup sur l’intérêt des collectionneurs. “Le second facteur, poursuit l’expert, c’est sa complétude.” Eric Mickeler, qui a fait l’estimation de Vulcain pour les commissaires priseurs Florent Barbarossa et Olivier Collin du Bocage en charge de la vente, la jauge, d’après les travaux préliminaires des scientifiques, notamment le Dr Foth (paléontologue et chercheur à l’université de Rostock) et le professeur belge Pascal Godefroid (paléontologue ayant assisté à la découverte de Vulcain) à plus de 80%. “On parle de spécimen déjà très complet à partir de 70%” précise Eric Mickeler. L’impressionnante qualité de conservation du crâne de Vulcain est également un avantage particulièrement prégnant symboliquement.
Tous les voyants semblent donc au vert pour permettre à Vulcain d’entrer dans l’histoire des dinosaures vendus aux enchères. Quant à savoir alors pourquoi notre expert s’est contenté d’une estimation (entre trois et cinq millions d’euros) aussi humble que la sienne pour un spécimen qui défraie pourtant déjà la chronique : “Je considère que c’est le marché qui nous donnera le véritable prix. Il n’est pas opportun de faire rêver des vendeurs ou d’inquiéter des acquéreurs.” L’expert, même s’il a toutes les raisons d’espérer battre des records, reste prudent.
En Belgique ?
Alors, chez qui finira Vulcain ? Même si c’est un collectionneur privé qui emporte la mise (et à la vue des estimations, on peut raisonnablement penser qu’un acteur publique ne pourra s’aligner sur le futur prix de vente), sa taille le condamne presque inévitablement à terminer en prêt dans une institution où il fera le bonheur des visiteurs. “Son acheteur est plus que probablement à chercher du côté d’un grand patron qui veut laisser une trace, un héritage dans l’histoire scientifique et culturelle de son pays, et qui voudra, à son niveau, participer à la connaissance universelle.” Même s’ils restent discrets, il semblerait que ce genre de profil existerait en Belgique où les collectionneurs de dinosaures sont, parait-il, légion (les plus célèbres d’entre eux étant Marc Coucke que nous avons déjà cité et Fernand Huts). En attendant, comme d’autres grands musées et institutions européens, l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, contacté par Eric Mickeler, s’est déjà positionné pour le montrer au public le temps de réaliser sa description scientifique. Alors, Vulcain, le plus grand dinosaure jamais vendu aux enchères, aura-t-il un jour l’accent belge ? Verdict samedi prochain.