L’héritage musical d’Adolphe Sax, l’inventeur du saxophone, continue de rayonner grâce à la passion et à la détermination de Karel Goetghebeur, qui a su redonner vie à la prestigieuse marque Adolphe Sax & Cie.
Le prestige d’un nom emblématique peut parfois masquer une réalité beaucoup plus difficile. Si Adolphe Sax est principalement connu pour avoir inventé le saxophone, peu de gens sont conscients des épreuves financières, des batailles juridiques et des problèmes de santé qu’il a affrontés tout au long de sa vie. Décédé en 1894 à Paris à l’âge de 79 ans, Adolphe Sax a laissé derrière lui une montagne de dettes. Ce n’est que bien plus tard qu’il a été pleinement reconnu pour son génie, notamment avec l’érection d’une statue en son honneur dans sa ville natale de Dinant.
Il est difficile de ne pas établir de parallèles avec Karel Goetghebeur (45 ans), un entrepreneur originaire d’Ostende qui a choisi de ressusciter la légendaire marque Adolphe Sax & Cie. Tout comme son illustre prédécesseur, il fait face à des problèmes de santé et se trouve engagé dans une bataille juridique pour défendre ses droits sur la marque contre des concurrents opportunistes. Avant d’examiner la situation actuelle, prenons un moment pour jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur. À l’instar de Marcel Proust qui, en trempant une madeleine dans son thé, est transporté dans son « temps perdu », c’est l’odeur du laiton et du cuivre qui a suscité une révélation chez Karel Goetghebeur. Petit-fils d’un constructeur naval, il se souvenait du parfum familier du chantier naval, une odeur qu’il retrouva dans un vieux fourreau contenant un saxophone antique qu’il avait acquis. « Je ne me considère pas comme un musicien, ce serait une offense aux véritables artistes », précise Karel Goetghebeur. Cependant, il maîtrise le saxophone et manifeste dès son plus jeune âge une profonde passion pour la musique. Son parcours, cependant, est parsemé de détours inattendus. Son esprit entrepreneurial se révèle tôt lorsqu’il reprend, à 22 ans, deux entreprises de pompes funèbres, aujourd’hui connues sous le nom de groupe Dela. Mais il ne se sentait pas à sa place, se qualifiant de « mauvais entrepreneur funéraire » en raison de son désir de garder tout le monde en vie. Cette prise de conscience le dirige vers le secteur pharmaceutique, où il conclut son chapitre médical en tant que responsable des ventes et du marketing. C’est dans ce domaine qu’il découvre sa passion pour l’innovation et le renouvellement des concepts, développant des compétences qui lui seront précieuses dans ses projets futurs.
Le grand saut vers Adolphe Sax
En 2010, Karel Goetghebeur décide de se consacrer à sa passion pour le saxophone. Il commence modestement, en parallèle de son activité principale, en distribuant des saxophones à travers l’Europe. En 2012, une inspiration nocturne lui révèle qu’il est possible d’acquérir les droits sur le nom Adolphe Sax & Cie. Étonnamment, le registre des marques ne mentionne aucun détenteur pour ce nom. Cette étape marque un tournant décisif pour lui. Il se rend alors dans plusieurs usines, principalement à Taïwan, où de nombreux fabricants d’instruments sont installés, afin de trouver le parfait équilibre entre artisanat traditionnel et technologie moderne. Ces démarches aboutiront au développement des premiers prototypes et, finalement, au lancement officiel de la marque Adolphe Sax & Cie le 27 septembre 2012 à Bruges.
« C’est l’odeur du laiton et du cuivre qui a suscité une révélation chez Karel Goetghebeur »
Karel Goetghebeur réalise rapidement qu’il ne peut pas tout gérer seul. Il commence donc à faire appel à des freelances et forme un conseil technique composé de saxophonistes, de techniciens et de chercheurs renommés. Tout en se concentrant sur la recherche et le développement, il confie la production en série à des partenaires spécialisés. Cette approche lui permet de tester et d’intégrer de nouvelles technologies pour améliorer constamment l’industrie du saxophone.
Parmi les projets les plus remarquables sous sa direction figure Sax4Pax. Ce projet ambitieux consiste à fabriquer 193 saxophones à partir d’obus de grenades fondus, symbolisant la transformation de la guerre en paix. Chaque saxophone intègre des éléments de lieux historiques tels que la Porte de la Paix à Dixmude et la Porte de Menin à Ypres, et ses touches sont incrustées de bois provenant de fusils Lee-Enfield utilisés par les troupes britanniques pendant les Première et Seconde Guerres mondiales. Ce projet illustre non seulement sa capacité d’innovation, mais aussi son profond respect pour l’histoire et la paix.
Lutter, une question de vie ou de mort
« Un saxophone compte environ 500 pièces, et son mécanisme de clés est particulièrement ingénieux », explique Karel Goetghebeur. « Pour moi, Adolphe Sax est un grand inventeur, à l’instar de son contemporain Nikola Tesla. » Né en 1814 à Dinant sous le nom d’Antoine-Joseph Sax, Adolphe Sax était un visionnaire, bien plus qu’un simple fabricant d’instruments, comme il est souvent perçu aujourd’hui. Sa création la plus célèbre, le saxophone, breveté en 1846, offrait un son unique, apprécié tant dans la musique militaire que classique. En 1842, Adolphe Sax s’installe à Paris et y ouvre son atelier Adolphe Sax & Cie. À son apogée, l’entreprise comptait jusqu’à 200 employés. Cependant, en 1852, elle fait faillite pour la première fois après que son monopole de fournisseur de saxophones pour les militaires français a été révoqué par décret. Adolphe Sax, en plus de lutter contre de graves problèmes de santé, perd deux de ses cinq enfants. Il parvient à relancer sa société grâce au soutien de l’empereur Napoléon III, mais la production est finalement interrompue pendant la guerre franco-prussienne et ses biens sont même mis aux enchères. Malgré ses brillantes innovations et le soutien de compositeurs renommés comme Hector Berlioz, Adolphe Sax doit faire face à une concurrence acharnée et à des défis juridiques constants. Lorsqu’il meurt en 1894, il est ruiné et accablé par les dettes accumulées à cause des nombreux procès.
« La renaissance de la marque n’a pas été sans difficultés »
Aujourd’hui encore, le nom d’Adolphe Sax est au cœur de litiges. La renaissance de la marque n’a pas été sans difficultés. Depuis plusieurs années, Karel Goetghebeur se bat contre des avocats onéreux et mène une lutte juridique acharnée pour préserver les droits sur le nom Adolphe Sax. Une société d’investissement française a tenté de revendiquer ces droits, bien que Karel Goetghebeur les ait acquis légitimement. Cette bataille juridique, qui entre dans sa cinquième année, a lourdement pesé sur sa santé. Les tentatives des Français de mener une véritable guerre d’usure pour forcer le petit Belge à céder ont été éprouvantes. Karel Goetghebeur confie avoir hésité après une nouvelle hospitalisation, se demandant si les investissements financiers dans cette lutte en valaient la peine. Cependant, il reste déterminé à faire perdurer l’héritage d’Adolphe Sax.
L’avenir d’Adolphe Sax & Cie
De nombreux défis demeurent à relever et les projets ne manquent pas. « Nous observons une tendance croissante à utiliser les saxophones comme objets de décoration. Nous les présentons sur des supports, socles ou cadres spécialement conçus à cet effet. » Ce n’est pas surprenant, car les saxophones, en plus d’être agréables à écouter, possèdent une beauté esthétique indéniable.
Cependant, l’accent reste sur le développement continu des saxophones et l’expansion de l’histoire d’Adolphe Sax & Cie. « Je ne dois pas devenir un obstacle au progrès. Être l’homme à tout faire au début est une chose, mais il est désormais temps de renforcer l’équipe. » Karel Goetghebeur ne souhaite néanmoins pas se précipiter. « La vision doit être cohérente, respectueuse de l’histoire tout en ouvrant la voie à l’avenir. Je veux offrir à la Belgique et aux Belges quelque chose dont ils puissent être fiers. »