Entreprendre est devenu plus accessible qu’auparavant, notamment grâce à la grande disponibilité de l’argent. Toutefois, d’autres éléments, tels que la créativité, prennent de plus en plus d’importance. « Le capital n’est plus le facteur décisif. Le secteur du capital-investissement doit donc se réinventer », affirme l’entrepreneur Jürgen Ingels.
Jürgen Ingels, investisseur et entrepreneur dans le domaine de la technologie, possède une longue expérience. Il est le fondateur de la société fintech Clear2Pay, qu’il a ensuite vendue à FIS, le leader américain des technologies de paiement. Après cette cession, il a joué un rôle clé dans la croissance d’entreprises comme Silverfin et Guardsquare. Aujourd’hui, il dirige Smartfin, un fonds de capital-risque axé sur le secteur technologique. « L’entrepreneuriat n’est pas à la portée de tout le monde, il faut avoir ça dans le sang », avance-t-il. « Mais on peut s’améliorer avec le temps. » Son esprit d’entreprise s’est manifesté dès son plus jeune âge. Adolescent, il organisait des concerts parce qu’il n’avait pas le droit de sortir et, plus tard, à l’université, il vendait des cours à d’autres étudiants. Même en vacances, l’esprit d’entreprise ne le quitte pas. « Les trois premiers jours, je m’amuse, mais ensuite, je commence déjà à réfléchir aux opportunités d’importation et d’exportation qu’offre ma destination de vacances. »
« La réussite d’un entrepreneur repose sur un savant mélange de chance, de connaissances financières, d’expérience et de patience »
Selon Jürgen Ingels, la réussite d’un entrepreneur repose sur un savant mélange de chance – être au bon endroit au bon moment –, de connaissances financières et d’expérience. « Les entrepreneurs les plus performants sont souvent ceux qui n’en sont pas à leur coup d’essai », explique-t-il. « Grâce à leur expérience, ils progressent plus rapidement. » Il souligne en outre l’importance de la patience. « Beaucoup de jeunes entrepreneurs veulent talonner Elon Musk en trois ans. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Il faut se donner le temps de franchir les étapes nécessaires. C’est généralement vers 40 ou 45 ans qu’on a le plus de chances de réussir. »
« Aujourd’hui, on peut conquérir le monde depuis son grenier avec une idée créative et un petit capital »
Plus de capitaux disponibles
Le climat entrepreneurial a considérablement évolué depuis les débuts de Jürgen Ingels. « Aujourd’hui, les entrepreneurs s’internationalisent beaucoup plus rapidement », observe-t-il. C’est aussi devenu moins difficile de réunir le capital nécessaire. Il se souvient de l’époque où il sollicitait des fonds auprès d’amis dans des cafés pour créer Clear2Pay, en leur annonçant qu’ils ne reverraient probablement jamais leur investissement. « Aujourd’hui, on peut conquérir le monde depuis son grenier avec une idée créative et un petit capital », affirme-t-il. Jürgen Ingels considère néanmoins qu’il y a désormais trop d’incubateurs. « Parfois, les entrepreneurs sont trop choyés. Beaucoup d’initiatives sont soutenues financièrement mais échouent au bout de trois à cinq ans. »
S’il est devenu plus facile d’être entrepreneur dans certains domaines, il constate que d’autres facteurs pèsent désormais plus lourd. La créativité en est un. « Le monde de la technologie est en complète mutation », explique-t-il. « Avant, on avait une idée qu’on développait en un produit minimum viable. On s’entourait alors de commerciaux, d’un service clientèle, d’un département RH et marketing… Au fil du temps, l’entreprise se transformait en une organisation complexe de quelque 200 personnes exerçant diverses fonctions. C’était le modèle. » Aujourd’hui, les esprits créatifs fondent des entreprises de premier plan avec des personnes partageant les mêmes idées pour s’attaquer aux problèmes mondiaux. « Leur comptabilité, leur back-office et leur CRM sont automatisés. Leur produit est si bon qu’ils n’ont pas besoin d’un service commercial. Les ressources humaines sont superflues, car ils ne sont que 10. Ces entreprises parviennent à générer 30 millions d’euros en trois ans, avec une marge bénéficiaire de 80 %. C’est toute la physionomie du secteur qui s’en trouve bouleversée. Il faut moins de personnel, car de nombreuses fonctions de soutien disparaissent. »
Le capital-investissement doit se réinventer
Comme ces entreprises génèrent rapidement de l’argent par elles-mêmes, le capital n’est plus le facteur le plus important. Dans le monde du capital-investissement, dans lequel évolue Jürgen Ingels, les grands fonds qui gèrent des milliards perdront de leur pertinence. « Plutôt que d’argent pur, il est davantage question de la valeur ajoutée que présentent les entreprises », précise-t-il. « Elles ont besoin d’aide pour s’internationaliser ou pour augmenter leur chiffre d’affaires, par exemple. » Jürgen Ingels possède deux entreprises de ce type dans son portefeuille : la société liégeoise Hex-Rays, qui développe des logiciels de rétro-ingénierie, et la société flamande Crazy Games. « Cette plateforme de jeux, aujourd’hui active à l’échelon international, s’est développée rapidement avec une petite équipe. Ce type d’initiative se rencontre surtout dans le monde de la technologie, mais d’autres secteurs verront éclore des projets de ce genre. »
Qu’adviendra-t-il alors des travailleurs que ces avancées technologiques laisseront sur le carreau ?
Selon Jürgen Ingels, l’évolution technologique devancera la capacité d’adaptation du marché du travail. « En l’espace d’une ou deux générations, il faut s’attendre à des bouleversements majeurs dans notre façon de travailler. Certains deviendront immensément riches, tandis que d’autres se retrouveront au chômage. Une situation qui pourrait conduire à deux résultats possibles : soit une révolution sociale éclate, comme nous le voyons déjà en Angleterre, soit le gouvernement intervient à travers des mesures telles qu’une taxe sur la robotique ou une forme de revenu universel, dans un monde où les travailleurs décoreront les trottoirs et feront du jardinage. »
Gagner du temps
À 52 ans, Jürgen Ingels affirme être à la croisée des chemins dans sa carrière. Il commence tout doucement à réduire ses mandats pour passer le relais à la génération suivante. Il souhaite néanmoins continuer à concrétiser sa vision en réalisant des investissements judicieux. « Au cours des 15 prochaines années, je veux faire de Smartfin l’un des fonds technologiques les plus performants d’Europe. Pour ne rien vous cacher, nous en sommes loin pour le moment, mais il faut rester ambitieux. » Jürgen Ingels jette un regard satisfait sur sa carrière. « Ce qui fait ma fierté, c’est d’avoir une idée en tête et de pouvoir la réaliser. Après avoir vendu Clear2Pay, beaucoup de gens ont dit que j’avais eu de la chance. Mais j’ai recommencé à zéro par la suite plusieurs fois, preuve que ce n’était pas un one (lucky) shot. » En outre, Jürgen Ingels n’est pas moins fier du livre qu’il a écrit pour ses enfants : « 50 lessen voor ondernemers ». « J’ai déjà fait gagner du temps à beaucoup de gens en leur évitant de commettre mes erreurs de débutant », conclut-il.