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Hugo Wyss, l’architecte de la survie horlogère

et
Collectif Prosper

L’horlogerie n’est pas simplement une industrie : elle est un univers riche en récits légendaires. Ancien vice-président de la recherche chez Ébauches SA, Hugo Wyss a joué un rôle central pendant la « crise du quartz » suisse, cherchant à combler le fossé technologique face à la concurrence japonaise.

Le quartz, matériau phare de l’industrie moderne, est célèbre pour ses propriétés piézoélectriques, cruciales dans la fabrication des composants électroniques. Son histoire en horlogerie débute dans les années 1960, au cœur de son berceau suisse, au Centre Électronique Horloger (CEH) de Neuchâtel. Mais c’est au Japon que la première montre à quartz voit le jour : l’Astron, lancée en décembre 1969 par Seiko. Cette innovation marque un tournant décisif, offrant une précision inégalée par rapport aux montres mécaniques traditionnelles. Face à cette excellence japonaise, la Suisse mobilise ses talents les plus brillants. Parmi eux se distingue Hugo Wyss, expert en chimie physique diplômé de l’École polytechnique fédérale de Zurich, reconnue pour ses nombreux lauréats du prix Nobel. Avant de rejoindre l’industrie horlogère, Wyss se forge une réputation en Suède chez ASEA, un géant de l’ingénierie électrique, où il excelle dans les semi-conducteurs, éléments clés pour le développement des montres à quartz.

Swatch © DR

Le transistor a tout changé

Après son passage chez ASEA, Wyss rentre en Suisse pour rejoindre FAVAG Microelectronics. Là, il se consacre à la conception de circuits intégrés et de transistors en silicium, inspirés par les laboratoires Bell et le succès des radios portables Sony. « Le transistor a tout changé ; avant, on vivait dans un monde de tubes », sourit-il. En 1975, ASUAG, un géant horloger, reconnaît ses talents et l’engage pour développer des composants électroniques, le plaçant au cœur de cette révolution technologique. À l’époque, ASUAG détient les marques Longines et Rado, et surtout, il est le principal fabricant d’ébauches horlogères grâce à sa filiale Ebauches SA. Les ébauches, ensembles de pièces de base non assemblées, servent de socle pour créer les mouvements complets intégrés dans les montres de grandes marques comme Tissot ou Omega. C’est le terrain de jeu idéal pour Wyss : « L’industrie horlogère, c’est comme celle des voitures : il y a la carrosserie et le moteur. Moi, je suis un motoriste », affirme-t-il avec fierté.

« En Suisse, les innovations étrangères sont parfois rejetées par protectionnisme »

Rattraper le Japon

Au milieu des années 1970, la filiale d’ASUAG, Ébauches SA, détient plus de 25 % du marché mondial des mouvements horlogers, bien que le Japon commence à gagner des parts. Nommé à la direction générale en 1976, Wyss fonde le laboratoire ASULAB, réunissant 80 chercheurs universitaires. Ensemble, ils explorent les résonateurs piézoélectriques, les affichages LCD, et d’autres innovations pour maintenir leur compétitivité. Pour contrer l’invasion des montres à quartz bon marché japonaises, il établit une antenne au Japon. Il découvre alors une différence fondamentale avec la Suisse : le syndrome du « not invented here ». « En Suisse, les innovations étrangères sont parfois rejetées par protectionnisme. Au Japon, au contraire, l’horlogerie est animée par la curiosité et l’absorption des compétences extérieures », déplore-t-il. Sur le marché japonais, le quartz est devenu incontournable, avec des marques de renommée mondiale comme Seiko et l’émergence de Casio, autrefois spécialisée dans les calculatrices.

© editionsduchene

« Nous étions les boulangers et les marques achetaient nos brioches »

Des méthodes discrètes

En utilisant des méthodes discrètes, il collabore avec des espions américains pour obtenir des informations cruciales et établit des liens stratégiques avec des filiales américaines. Il transfère la technologie des cristaux de quartz de Statek Corporation en Suisse et travaille étroitement avec Ébauches Électroniques Marin, spécialisée dans les circuits intégrés CMOS, utilisés dans des montres emblématiques comme la Rolex Oysterquartz, aujourd’hui retirée du catalogue. Mais son implication va bien au-delà de l’espionnage industriel ou du transfert de technologies. En tant que fournisseur pour d’autres marques, Ébauches SA dispose d’un service technique où chaque montre est minutieusement analysée. « Nous étions les boulangers et les marques achetaient nos brioches. Pour nous, concevoir signifiait s’impliquer activement », souligne Wyss.

Rolex Oysterquartz © editionsduchene

Licencier, puis se licencier

À la fin des années 1970, Hugo Wyss fait face à d’énormes défis. « Avant 1975, nous bricolions faute de circuits intégrés. Grâce à notre persévérance, nous avons produit environ 250 000 pièces tout en maîtrisant les coûts », se souvient-il. Mais la crise horlogère se profile. Au début des années 1980, la Suisse est en pleine récession, accentuée par la dévaluation du dollar américain. « En un an, le prix d’un mouvement pouvait passer de 40 $ à 2 $. La production de montres a chuté de 76 à 48 millions. Nous avons plongé dans une crise profonde, avec des licenciements massifs. Quelqu’un devait faire le sale boulot, mais personnellement, je ne m’en sentais pas capable », admet Wyss. Ernst Thomke, soutenu par Nicolas Hayek, prend en charge la restructuration chez ETA SA, ex-Ébauches SA. « En trois ans, 50 000 emplois ont été supprimés dans l’industrie horlogère suisse. En tant que bâtisseur, j’ai pris la décision de démissionner en 1982, juste avant le lancement de la Swatch. Le plus dur était passé. J’avais accompli ma mission », ajoute-t-il. Peu avant le lancement triomphal de la Swatch en 1983, ASUAG fusionne avec le SIHH, un autre géant horloger. Sous la direction éclairée de Nicolas Hayek, la nouvelle entité ASUAG-SIHH se transforme en Swatch Group, aujourd’hui un pilier de l’industrie horlogère mondiale.

© editionsduchene

Alternatives écologiques

Les préoccupations croissantes concernant l’impact environnemental des batteries et des matériaux utilisés ont conduit à la recherche d’alternatives plus écologiques que le quartz, telles que les technologies solaires et les mouvements à énergie cinétique. Wyss le confirme : « La montre électronique à quartz nécessite un renouvellement régulier des batteries, tandis que la montre mécanique se profile comme l’option la plus respectueuse de l’environnement, étant entièrement réparable. » 

QUELQUES CHIFFRES

Entreprises horlogères suisses en activité avant, puis au coeur de la « crise du quartz » (période 1970-1983).

1970 :1600

1983 : 600

Nombre d’emplois dans l’horlogerie avant, puis à la fin de la « crise du quartz »

1970:90000

1988:28000

Nombre de Swatch vendues en deux ans après la première commercialisation

1983-1985:

2,5 millions

 

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