S’il vous est déjà arrivé de passer devant une galerie d’art sans oser pousser la porte par peur de passer pour un novice, on a peut-être l’alternative qu’il vous faut. Rencontre avec Florence Derck, fondatrice de DEMAIN Art.
« DEMAIN est né en juin 2020 en plein Covid. Deux constats émergent alors. D’abord, un tas d’expositions et de projets ont été annulés, et les galeries et musées ont été contraints de fermer, mettant en attente de nombreux jeunes artistes sans revenus et isolés dans leurs ateliers. Parallèlement, les gens n’ont jamais passé autant de temps chez eux, et n’ont donc jamais été aussi désireux d’améliorer leur cadre de vie. Pleins de primo-acheteurs souhaitent décorer leur nouveau chez eux, ils ont l’ambition d’investir dans des oeuvres de qualité, mais peinent à comprendre l’univers souvent opaque de l’art », explique Florence Derck, sa fondatrice.
Casser l’idée d’un art élitiste
Partant de ce constat, la jeune-femme autrefois directrice associée à la Gladstone Gallery décide de lancer un concept de « galerie numérique » avec son associée, dont elle rachètera ensuite les parts, devenant seule actionnaire. Concrètement, DEMAIN se présente sous la forme d’une plateforme en ligne où l’on accède directement aux catalogues d’oeuvres, à leur description, leur taille et leur prix. On peut créer son panier et acheter son oeuvre directement en ligne, il y a une transparence total sur les prix. Mais comme leurs artistes n’ont pas encore été représentés par une galerie, les prix des oeuvres restent accessibles. Comptez 2 500€ (TTC) pour une toile en moyenne. Les oeuvres les moins chères débutent à 350€, et on grimpe jusqu’à 9 500€ pour les artistes qui commencent à percer.
L’avantage de ce projet, c’est que lorsqu’il est lancé, il ne demande aucun investissement ou presque, car il ne requière ni espace physique, ni stock. L’oeuvre est en consignation, et lorsqu’elle est vendue, Demain prend une commission. Si elle n’est pas vendue, elle est rendue à l’artiste. Aucun fee n’est demandé pour accéder à la plateforme. « On choisit nos artistes en fonction de leur technicité, leur parcours, leur originalité et la cohérence de leur pratique. On veut ôter cet aspect élitiste de l’art en prouvant qu’il ne faut pas bouger à l’autre bout du monde pour dénicher de belles oeuvres, des pépites se trouvent au coin de la rue », ajoute Florence.
Le futur du traditionnel « white cube » ?
Un système qui permet aussi moins de transport, moins d’emballage et donc moins de pollution. La plateforme d’art digitale est-elle en train de signer le renouveau du traditionnel « white cube » froid qui fait peur ? Peut-être. Demain a néanmoins décidé de se doter lui aussi d’un espace physique, DEMAIN Studios : une vaste galerie de 600 mètres carrés installée dans un bâtiment historique du Sablon. Mais dans laquelle on a cassé les codes, en installant des ateliers pour admirer quotidiennement les artistes à l’oeuvre et un espace d’exposition qui change tous les mois et demi, et insufflé de la vie en installant une longue table de vingt personnes pour lire, prendre un café, ou organiser un dîner dans un lieu original. « Outre la plateforme numérique et l’espace du Sablon, nous invitons nos clients dans l’atelier de l’artiste afin de permettre un dialogue personnel avec ce dernier. Dans un modèle traditionnel, ce n’est pas le cas. L’œuvre ira d’abord à la galerie, puis au client. Cela permet de créer une expérience plus proche, plus humaine. Je peux expliquer une oeuvre, mais c’est encore plus fort de l’entendre dans l’atelier de l’artiste. Cela permet au client de voir les matériaux et le travail derrière ».
Aujourd’hui, DEMAIN affiche un chiffre d’affaires de 315 000 euros pour cette année déjà, a raison d’une augmentation de 25 à 30% par an. Depuis l’année dernière, l’entreprise se concentre davantage sur les projets « corporate », souvent plus considérables et donc plus rentables. Il s’agit de vendre des oeuvres d’art à des entreprises belges qui souhaitent se constituer une collection et l’exposer dans leurs bureaux. Pour le moment, DEMAIN entend continuer à se développer sur le marché belge avant de viser l’international. « L’avantage en Belgique, c’est que l’on dispose de très bons artistes belges, mais aussi français, car nos ateliers sont moins chers que dans d’autres capitales européennes. On a de très bonnes écoles et des collectionneurs avant-gardistes qui aiment acheter tôt. Tout ça offre de belles galeries où les artistes belges sont plus vite remarqués que sur de plus vastes marchés comme Londres ou Paris. Mais pourquoi ne pas imaginer un Demain Paris ou un Demain Lisbonne à l’avenir, et se créer un réseau local d’artistes dans chacun d’eux ? »
Éduquer à l’art
DEMAIN n’est pas la première plateforme d’art numérique. On citera notamment The Wunderwall de Sofie Vandevelde en Belgique ou encore The Platform à l’international. Mais elle a le mérite d’essayer de transformer notre rapport à l’art. « Il faut changer l’éducation, en montrant davantage le processus, et surtout que l’artiste est une personne accessible. Souvent, dans les expos, on tombe sur des textes hyper pointilleux. Il faut désacraliser ce monde en le rendant beaucoup plus simple. Il faut aussi casser l’idée qu’une oeuvre d’art est forcément hors de prix. 2 000€, c’est un investissement qui peut non seulement être rentable si l’artiste monte, mais il s’agit aussi d’une oeuvre de qualité que l’on gardera ensuite à vie ».