L’immobilier belge est en crise ! Secteur réputé pour sa forte stabilité, voire valeur refuge pour beaucoup d’investisseurs belges, l’immobilier traverse pourtant depuis plusieurs années des turbulences à répétition.
Observateurs et presse s’accordent à dire que le « tiercé » Covid 19, invasion russe en Ukraine puis flambée inflationniste ont eu pour conséquence l’affaiblissement de pans entiers de l’économie européenne. Et les faits sont là : la plupart des marchés ont fortement ralenti, en témoigne notamment le marché allemand, la place centrale de l’immobilier en Europe, qui semble être atone depuis maintenant plusieurs années.
Mais où cette crise a-t-elle trouvé racine, et comment l’immobilier en est arrivé à la situation qu’il connaît aujourd’hui? Nous vous proposons un tour d’horizon des générateurs principaux d’une crise complexe.
1. La dépendance du marché immobilier professionnel à la dette
L’immobilier professionnel est avant tout un « business de la dette ». Qu’ils soient investisseurs ou promoteurs, les professionnels de l’immobilier ont tous sensiblement le même besoin : optimiser les leviers financiers, afin de créer un maximum de volume d’affaire avec un minimum de fonds propres.
Cela permet d’obtenir le front opérationnel le plus large, de diversifier les risques et… d’augmenter sa rentabilité (TRI, ROI et/ou ROE étant les principaux indicateurs de performance à ce niveau). Simple et efficace lorsque les taux sont bas, mais beaucoup plus complexe en période de forte inflation, comme nous l’avons vécu pendant 2 à 3 ans. Même si cette période semble à présent derrière nous (en témoignent les 2,4% d’inflation de la zone Euro pour juin 2024, contre 7% pour juin 2023), les dégâts sont là. Nuançons toutefois sur un point : l’inflation, si elle a eu un impact général sur la remontée des taux d’intérêt de la BCE, a aussi joué un rôle de rempart pour beaucoup d’investisseurs immobiliers. En particulier pour les investisseurs à long-terme qui se sont financés à taux fixe.
2. Le risque d’asphyxie financière
Pour faire simple, disons donc que la plupart des professionnels structurent leur activité au moyen d’importants leviers financiers, souscrits soit sous forme d’obligations (taux et échéances fixes), soit de prêts (allant de la dette bancaire en passant par le financement mezzanine ou encore le crowdfunding) à taux fixes ou variables (usuellement EURIBOR + marge). Or les deux cas de figure sont problématiques en période d’inflation. Prenons deux exemples pour l’illustrer :
- Une obligation sur 3 ans souscrite en 2021 arrive donc à échéance en 2024, et doit être remboursée ou renouvelée. Soit le souscripteur est en mesure de rembourser sa dette, soit le coût de celle-ci va être beaucoup plus important (on parle de multiplication par 3 ou 4 dans certains cas !)
- Un financement classique à taux variable et contracté à ces mêmes périodes suivra, lui, l’augmentation de l’EURIBOR, sans qu’aucun plafond ne soit imposé au créancier (contrairement par exemple aux prêts hypothécaires à taux variables consentis aux particuliers qui, eux, sont obligatoirement plafonnés)
Le résultat ? Dans un premier temps, une érosion plus ou moins rapide de la marge escomptée en fonction de la durée et du taux de financement. Ensuite, une sortie prématurée à marge réduite, nulle ou négative pouvant potentiellement entraîner l’asphyxie financière du porteur des projets.
3. Le « momentum infernal » de 2021-2022
Chaque investissement immobilier comporte ses spécificités, mais s’il est une base commune à tous, c’est la séquence : acquisition – exploitation/développement – revente.
A plus ou moins long terme, et selon des processus qui dépendent de l’ADN de l’investisseur ou du porteur de projet, mais la réalisation de cette séquence prend du temps dans tous les cas.
Or ceux qui ont pris position sur des investissement moyen ou long-terme dans l’intervalle 2021-2022 (pour faire simple) se sont retrouvés dans un momentum de marché ultra-défavorable en ce que :
- Les prix d’acquisition étaient à leur apogée à ce moment-là dû au fait de la compression maximale des taux (ou yields)
- L’obstruction du canal de Suez en mars 2021, qui a été la « première allumette » de la crise, engendrant à elle seule une première augmentation des prix sur certains matériaux (notamment les isolants thermiques, quasiment exclusivement produits en Chine).
- La Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, entraînant un embargo européen sur l’énergie russe, faisant véritablement flamber le prix de l’énergie et, par conséquent le prix de la plupart des matériaux directement liés au cours de l’énergie (acier, ciment, transport, etc).
- Le démarrage d’une politique de hausse des taux par la BCE dès juillet 2022, qui a ensuite connu des vagues successives entraînant une inflation jamais vue depuis plus de 40 ans.
Imaginez-vous à la place d’un professionnel de l’immobilier, qui investit X Millions d’Euros en janvier 2021 sur un projet à échéance de 5 ans (ce qui est une durée standard). Vous avez acheté à prix d’or un actif dont il va vous falloir financer la création de valeur à des taux très élevés, en vue de l’offrir à la vente dans un marché vidé de ses liquidités, et par conséquent de la plupart de la demande.
4. La lenteur de l’effet de rattrapage des prix de vente et loyers
Nous avons jusqu’ici abordé des problématiques liées au coût de l’investissement immobilier, et donc à l’offre immobilière de marché. S’il est une règle d’économie, c’est que lorsque l’offre subit un dérèglement, la demande finit inévitablement par en subir des conséquences. Cela se traduit en l’occurrence par une forte augmentation des prix de vente, et par suite logique, des loyers.
Cette hausse des prix de vente est déjà bien perceptible actuellement, et est assortie d’une nette réduction du volume d’offre disponible. Pour quelle raison ?
Parce que si le séisme sur l’offre s’est opéré entre 2021, l’effet de correction sur la demande, lui, mettra encore du temps à rattraper les choses. Matériellement, il faut que le niveau de revenus des acquéreurs (et des locataires) leur permette de retrouver un pouvoir d’achat suffisant pour qu’ils puissent à nouveau consommer de l’immobilier. Or cela prendra du temps. Et en attendant, les prix ne pourront pas monter au risque de ne pas trouver preneur.
Les vendeurs sont donc pris au piège avec un stock rendu illiquide par la flambée des coûts, et font le dos rond quand ils le peuvent, ou se retrouvent contraints de subir une décote (éventuellement importante) sur leurs actifs pour retrouver de l’oxygène. Et le marché est donc vidé d’une grande partie de l’offre potentielle, par choix des vendeurs d’attendre le retour de jours meilleurs.
5. Conclusion
La combinaison de ces quatre phénomènes constitue selon nous la plus grande partie de l’explication de la crise que l’immobilier (belge) connaît actuellement. Pas la totalité toutefois, car il serait réducteur de ne pas y inclure les problématiques liées à la lenteur chronique des délais d’obtention de permis de construire, les blocages politiques liés à la préservation de tout mètre carré construit ou verdurisé, le recours devenu quasi-systématique à l’arbitrage du Conseil d’Etat, les multiples conséquences du Covid, dont notamment le shift modal du télétravail, etc.
Mais si les paramètres macroéconomiques semblent faire de timides progrès, comme en témoigne la récente réduction des taux directeurs de la BCE (moins 25 points de base, pour atteindre un taux de dépôt de 3,25%), les défis politiques et administratifs restent gigantesques pour permettre au secteur immobilier belge de retrouver les beaux jours.
Gageons que la redistribution des cartes aux différents niveaux de pouvoir du pays permettra de capitaliser sur cette crise pour insuffler une énergie nouvelle à ce secteur économique fondamental, sans mettre de côté les défis climatiques et sociaux. Never waste a good crisis, disait Churchill !