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Crise du café : « On n’avait jamais vu ça. » Comment Torrefactory transforme le choc en opportunité

Une secousse historique. C’est ainsi que Florent Henry et Laurent-Emmanuel Dubuc, les deux cofondateurs de Torrefactory, qualifient la crise actuelle du café. Une crise sans précédent, « par son intensité, son caractère spectaculaire », souffle Florent. Depuis 2024, l’univers de la torréfaction subit une onde de choc qui fait grimacer les producteurs, les revendeurs, mais aussi les consommateurs.

Une crise mondiale aux racines multiples

Pour comprendre ce séisme, il faut plonger dans les entrailles d’un système en tension. « C’est une énorme pression entre une offre qui se réduit et une demande qui explose », résume Florent. En cause ? La montée en puissance des pays émergents, notamment la Chine, traditionnellement tournée vers le thé, mais désormais accro au café. Résultat : une demande mondiale en hausse constante.

Côté production, c’est la dégringolade. « La filière café a été maltraitée pendant des décennies. On a pressé le citron », déplore Laurent. Le tableau est sombre : producteurs vieillissants, exode rural, main-d’œuvre manquante, plantations abandonnées… À cela s’ajoute un facteur non négligeable : le changement climatique. « Le Brésil, qui pèse à lui seul 40 % de la production mondiale, a connu sa pire sécheresse depuis 70 ans. La Colombie, des pluies torrentielles inédites. » Le climat rend les récoltes imprévisibles, les marchés fébriles, les cours du café instables. On estime ainsi que la superficie consacrée à la culture du café pourrait diminuer de 50% d’ici 2025.

Torrefactory
Fin de torréfaction. ©D.R.

À cela s’ajoutent des enjeux réglementaires majeurs, comme la loi anti-déforestation européenne, repoussée d’un an mais bien réelle : elle imposera bientôt de prouver que chaque grain de café n’est pas issu d’une zone déforestée. Quant à la politique de Trump ? « Elle aura peu d’impact sur nous en Europe, mais les Américains risquent, eux, de payer leur café plus cher. »

Chez Torrefactory : un séisme absorbé avec résilience

Depuis un an, le prix d’achat du café a plus que doublé. « On a subi une variation de 130 % en 12 mois. Deux grosses vagues : une en été, l’autre en novembre-décembre. » Mais chez Torrefactory, pas de panique. Le duo préfère voir cette crise comme un momentum, une opportunité pour réaffirmer ses valeurs.

Malgré la flambée, la hausse des coûts internes n’a été “que” de 10 %. « On a décidé de rogner un peu sur nos marges pour garder un bon rapport qualité-prix », explique Laurent. Lorsqu’on lui demande si le café est en passe de devenir un produit de luxe, le torréfacteur nuance : « Un bon café de spécialité est vendu environ 28€/kg, soit 23 à 24 centimes la tasse. On parle d’environ 15 % d’augmentation, ce qui représente un impact final de 2-3 centimes pour le consommateur. Si tu le compares à d’autres biens de consommation, le café reste relativement accessible. »

Mais derrière ces quelques centimes se joue un enjeu bien plus grand. « On sait que les prix ne redescendront plus au niveau d’avant. Et c’est tant mieux », affirme Florent. Pour Torrefactory, mieux rémunérer la filière n’est pas une option : c’est un levier d’avenir. « Cette revalorisation permet d’améliorer concrètement les conditions de vie des producteurs. Elle rend aussi le métier plus attractif pour les jeunes générations, tout en finançant des pratiques agricoles plus résilientes face au changement climatique. »

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Agriculture du café à Pitzibir, au Costa Rica.©D.R.

Une croissance qui défie les lois du marché

Depuis 2017, Torrefactory enchaîne les résultats solides, avec un taux de croissance annuel de 30 %. En 2023, la jeune pousse belge a franchi un cap symbolique : 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une équipe qui compte seulement douze personnes. Et les ambitions ne fléchissent pas. “Malgré la crise, on prévoit encore 30 % de croissance cette année”, affirme Florent. Une performance qu’ils attribuent à la qualité constante de leur café, mais aussi à un positionnement clair et à la fidélité de leur clientèle.

Ce positionnement éthique, Torrefactory le cultive depuis ses débuts. « Pour la plupart de nos cafés, nous sommes présents sur toute la chaîne de valeur : de la cueillette à la tasse, en passant par la torréfaction. » Une maîtrise qui leur permet de s’adapter en temps réel, grâce à un feedback direct du terrain. «  Notre objectif est d’acheter la totalité de nos cafés en direct et de sortir définitivement des marchés boursiers d’ici 2030.  »

Pour renforcer encore ce lien, deux coffee shops ont vu le jour à Liège et à Bruxelles (notamment au Fort Jaco, dans l’ancien Cook & Book). Mais ces lieux ne sont pas pensés comme de simples points de vente : ils jouent un rôle clé dans la fidélisation. « C’est là qu’on rencontre nos clients, qu’on leur explique notre démarche, notre vision. Ce lien humain, incarné, permet de créer une vraie communauté autour de notre café. Et c’est aussi ce qui nous permet de rester solides face à la crise. »

Torrefactory
Les packaging de Torrefactory sont 100% recyclables.

Depuis un an, Torrefactory est certifiée B Corp, un label parmi les plus exigeants au monde. L’entreprise s’est aussi lancée dans un bilan carbone avec Smart To Circle et l’outil Tapio. « Le vrai défi, ce n’est pas le transport, contrairement à ce qu’on pense. C’est la machine utilisée pour faire le café et la méthode de culture. » Résultat : l’équipe travaille à automatiser ses process internes, optimiser ses opérations, et surtout opter pour des machines moins énergivores et sourcer ses cafés différemment, en privilégiant les exploitations agricoles durables.

“Le plus grand consommateur de café, c’est l’évier”

Chez Torrefactory, on défend une consommation éclairée. « Moins mais mieux. » Savourer une bonne tasse plutôt qu’un litre de café insipide. « On est rentrés dans le café par passion, sourit Florent. Et une passion ne se contrôle pas. Aujourd’hui, on veut qu’il fasse du bien autour de nous. »

Avec un packaging 100 % recyclable, un engagement en faveur de la parité et une vision à long terme, les deux entrepreneurs veulent construire une société vertueuse. Et devenir, à terme, l’acteur de référence de l’impact dans le café. Affaire à suivre.

Torrefactory
Au cœur des impressionnants volcans d’Antigua, Guatemala, se trouve la Finca La Esperanza, une plantation de café s’étendant sur 6 hectares. ©D.R.

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