Conny Vandendriessche a la fibre entrepreneuriale dans le sang. Elle a développé Accent Jobs pour en faire l’un des plus grands fournisseurs de services RH européens, House of HR. Avec sa passion, sa persévérance et une bonne dose de naïveté, elle ouvre aujourd’hui la voie aux entrepreneuses, notamment grâce à We Are Jane et Stella P. L’égalité des genres constitue le fil conducteur de sa vie. « Nous avons bien progressé, mais il reste du chemin à parcourir. »
« Parfois, je regrette de ne pas avoir vingt ans de moins », soupire Conny Vandendriessche presque à la fin de notre entretien. « Le monde change si vite. L’évolution de l’intelligence artificielle, par exemple, est fascinante. J’ai parfois besoin de plusieurs explications avant de comprendre, mais en même temps, j’en perçois les nombreuses possibilités. Je suis portée par une espèce de dualité. Pour House of HR, l’intelligence artificielle est très importante, mais elle m’empêche aussi de dormir la nuit. L’IA aura un impact majeur sur l’emploi, en particulier celui des cols blancs. C’est la première fois. La révolution industrielle a principalement affecté les métiers des cols bleus. »
Internet n’en était qu’à ses balbutiements lorsque Conny Vandendriessche a commencé sa carrière il y a près de 35 ans. Elle a grandi en Flandre occidentale, où ses parents possédaient une pépinière. Son père ne comptait que sur ses deux frères pour lui succéder. Quand il lui a conseillé de se trouver un homme riche au lieu de se lancer dans les affaires, elle a ignoré ses conseils bien intentionnés. Elle voulait faire ses preuves. « J’ai toujours eu un côté rebelle », raconte-t-elle.
En 1990, Conny Vandendriessche connaît sa première expérience professionnelle dans le secteur du travail intérimaire. Cinq ans plus tard, elle fonde Accent Jobs avec Philip Cracco et un business angel. « Nous connaissions bien le travail intérimaire, mais nous n’avions jamais dirigé d’entreprise auparavant. Jusqu’à dix collaborateurs, c’est encore gérable, mais au-delà, il est important de voir ce qui se fait ailleurs. Il ne faut pas réinventer l’eau chaude. » Pour savoir comment les autres s’y prennent, elle suit une formation à la Vlerick Business School et discute avec des modèles de référence. « Et heureusement, nous avions un conseil d’administration avisé qui nous a aidés. »
Voix intérieure
Les premières années d’entrepreneuriat ont eu des allures de montagnes russes pour Conny Vandendriessche. Tous les six mois, elle endossait un rôle différent au sein de l’entreprise. « Les changements se succédaient. Je devais chaque fois m’acclimater. J’ai dû absorber certaines choses à un rythme soutenu, pour d’autres j’avais plus de temps. Philip Cracco, mon cofondateur, m’a beaucoup appris. Il a fait preuve de plus d’audace que moi dans les premières années. Peu à peu, le déclic a eu lieu, et l’élève s’est muée en maître. »
Conny Vandendriessche a développé Accent Jobs pour en faire House of HR, l’une des plus grandes sociétés de services RH en Europe. Aujourd’hui, le groupe intérimaire compte plus de 800 bureaux pour un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros. « La croissance est dans mes gènes. Je me trouvais dans un business qui permet de copier et propager rapidement le modèle : faire tache d’huile somme toute, avec de plus en plus de bureaux. Le logiciel d’une seule agence peut très bien être utilisé dans une centaine de bureaux. Ce modèle économique était parfait pour moi. » Pour devenir une grande entreprise, la flexibilité est nécessaire. « Une forte capacité d’adaptation est nécessaire. Et une bonne dose de naïveté. J’ai appris à lâcher prise. Mais parfois on se prend un mur. »
La connaissance de soi l’a amenée là où elle est aujourd’hui. Elle sait ce qu’elle veut et peut faire. « Dans le monde de l’entreprise, il est important de s’entourer de personnes compétentes dans les matières que l’on ne maîtrise pas. » Sa voix intérieure forte est à la fois une malédiction et une bénédiction. « Cette voix, c’est typiquement féminin. Suis-je assez bonne ? Est-ce que je peux le faire ? Dois-je suivre une formation ? Dans certaines situations, cette introspection est bonne, mais elle peut aussi être négative. J’ai appris à gérer ça. »
Tendance
En tant qu’employeur, House of HR est attaché à l’entrepreneuriat et encourage les collaborateurs à faire preuve d’esprit d’entreprise. Sur un effectif de plus de 6 000 personnes, une sur dix est actionnaire. « Environ 660 salariés ont des parts dans l’entreprise. Nous conservons ainsi ce goût d’entreprendre. »
« Si on me dit de marcher à droite, j’irai à gauche »
Au fil du temps, House of HR a réalisé une cinquantaine d’acquisitions. Les noms des sociétés acquises ont été conservés, ainsi qu’une part de leur ADN. « Nous ne voulons pas toucher à l’identité de ces entreprises. Mais nous avons toujours partagé nos succès avec elles et examiné comment nous pouvions collaborer – dans les domaines de la finance, de la conformité et de la cybersécurité – pour être encore plus prospères. Nous ébauchons le cadre général, mais ne faisons pas de micro-gestion. Nous motivons les travailleurs, faisons du storytelling pour qu’ils soient en phase, mais ne leur tenons pas la main. Ça ne marche pas. Si on me dit de marcher à droite, j’irai à gauche. On peut être rebelle, non ? »
Inspirer et motiver les collaborateurs faisaient partie de ses tâches quotidiennes. « Nous accordons beaucoup d’attention au bien-être de notre équipe et à ses rêves. Nous les guidons et communiquons beaucoup à ce sujet. Le bien-être et l’empowerment sont des termes tendance aujourd’hui, mais ils ont cours chez nous depuis le premier jour. Et c’est logique, car nos collaborateurs étaient tout ce que nous avions. »
Entre-soi
En 2016, elle confie ses tâches opérationnelles à une CEO externe, Rika Coppens, et joue un rôle actif au sein du conseil d’administration. Mais elle ne va pas se reposer sur ses lauriers. Elle défend de plus en plus les femmes entrepreneuses et cadres. « Je n’ai pas fait d’études universitaires, mais j’ai suivi des études en infirmerie et en tourisme. Même si j’estimais ne pas disposer du bon bagage, certaines personnes ont cru en moi et m’ont offert des opportunités. J’avais 31 ans lorsque j’ai fondé Accent Jobs. Je veux apporter le même soutien aux femmes qui présentent un parcours similaire. C’est la mission de ma vie. »
Elle ouvre la voie aux entrepreneuses, notamment avec deux initiatives. Tout d’abord Stella P., spécialisée dans la composition des conseils d’administration et le conseil, avec un accent sur la diversité en plaçant davantage de femmes aux postes d’administratrices ou conseillères externes. En effet, Conny Vandendriessche a constaté que les conseils d’administration étaient encore majoritairement masculins et comptaient de nombreux profils financiers. « Il y avait trop peu de jeunes et il y régnait un entre-soi trop marqué. Je viens moi-même du monde du recrutement, et j’avais pour objectif de faire siéger 50% de femmes et 50% d’hommes au conseil d’administration. »
Avec Stella P., elle comble ce manque. La première année, elle a placé 15 mandats. Le succès ne s’est pas fait attendre et elle est vite arrivée à une centaine de mandats. « Lorsque nous proposions trois profils pour un mandat, nous veillions toujours à ce qu’il y ait une femme. Elle était souvent retenue. Les chefs d’entreprise ou les actionnaires m’ont souvent rappelée pour me dire qu’ils étaient satisfaits, que la femme choisie était super et très compétente. Ça me faisait toujours plaisir. On est maintenant à 45% de femmes, un résultat satisfaisant. Et ça vaut aussi pour les PME, ce qui est remarquable car elles n’ont pas à respecter les 30% de femmes comme les sociétés cotées. »
Difficile, et alors ?
Avec sa deuxième initiative, We Are Jane, elle ne s’est pas facilité la tâche. Le fonds d’investissement s’adresse aux entreprises en croissance qui ont une femme pour propriétaire ou cofondatrice ou dont la direction est diversifiée. Pour un premier fonds, 54 millions d’euros ont été levés auprès d’investisseurs institutionnels et individuels, dont 80 « Jane » et 11 « John ».
« Nous avons décidé de ne pas nous concentrer sur les start-up car il existe déjà de nombreuses possibilités à ce niveau. We Are Jane s’adresse plutôt aux runners-up : des gens qui sont là depuis un certain temps déjà et qui ont dépassé le stade entrepreneurial. » Aujourd’hui, We Are Jane investit dans cinq entreprises, bientôt six. « We are Jane a commencé juste avant la pandémie de COVID-19, en 2019 », souligne-t-elle. « Ça nous a fait perdre deux ans. Nous n’avons pas choisi le créneau le plus facile, mais la difficulté ne me rebute pas. Ça doit être inscrit en moi », plaisante-t-elle. « Devenir CEO d’une entreprise, ça s’apprend. Il faut du soutien, et aller vers les autres. Transmettre mes expériences à d’autres femmes me procure une grande satisfaction. Les femmes sont également reconnaissantes. »
Secteur respectueux des femmes
Conny Vandendriessche regarde en arrière avec satisfaction, mais où en sont les femmes aujourd’hui ? Sont-elles mieux loties qu’il y a 30 ans quand elle débutait elle-même sa carrière ? « De nombreux résultats ont été obtenus.
Le changement s’est amorcé dans la politique, puis dans les conseils d’administration des sociétés cotées et les PME. Sommes-nous arrivés au bout du chemin ? Non, mais une évolution s’est opérée. Les entreprises attirent de plus en plus de jeunes talents ou de personnes d’origine ethnique. »
« Les entreprises ont beau être diverses, mais les collaborateurs se sentent-ils vraiment à l’aise dans leur environnement de travail ? »
Elle épingle la différence entre diversité et inclusion. « Les entreprises ont beau être diverses, mais les collaborateurs se sentent-ils vraiment à l’aise dans leur environnement de travail ? Les Pays-Bas, par exemple, ont des jours de diversité, qui permettent aux travailleurs de prendre congé en fonction de leur croyance. Je pense qu’en Belgique nous sommes encore frileux. Certains pays proposent aussi des congés menstruels aux femmes. Nous ne sommes pas encore prêts. Les ressources humaines sont trop souvent considérées comme un domaine qui s’applique indifféremment à tous. Pour plus d’inclusion, l’approche doit être plus individuelle. »
Obstacles
L’égalité des genres est un fil conducteur dans la vie de Conny Vandendriessche, mais elle est bien consciente des obstacles. L’histoire masculine en est un. « Les clichés ont la peau dure. Il suffit de penser aux hommes qui partaient à la chasse alors que les femmes passaient toujours au second plan. Il faudra encore 100 ans avant de pouvoir balayer certains clichés. Je demande souvent aux femmes de prendre la place du conducteur. Si vous avez de l’ambition, j’ai besoin de l’entendre et de le ressentir. »
« Quand je leur propose un mandat, les femmes me répondent souvent : ‘Mais Conny, je ne peux pas faire ça. Je devrais suivre une formation, non ?’ »
Souvent, les femmes sont aussi leur propre obstacle. « Quand je leur propose un mandat, elles me répondent souvent : ‘Mais Conny, je ne peux pas faire ça. Je devrais suivre une formation, non ? Ou alors : Tu as pensé à telle ou telle femme ? Appelle-la’. Un homme ne recommande jamais quelqu’un d’autre. Cette voix intérieure est très présente chez les femmes et les amène à gamberger au lieu d’accepter spontanément. Les femmes doivent être convaincues à 120% avant de relever un défi. C’est dommage. »
Qu’elle le veuille ou non, Conny Vandendriessche est un modèle pour beaucoup. Elle-même a admiré diverses personnes au cours de sa carrière. Son père d’abord, plus tard Philip Cracco, mais aussi des personnes découvertes dans des livres ou qu’elle a rencontrées. « Les modèles changent constamment, en fonction de la taille de l’entreprise et du domaine qui vous intéresse. »
Pour son livre « Dream Dare Do », Conny Vandendriessche a interviewé 12 femmes de différents continents, ainsi que son mari. Des entretiens qui ont débouché sur des histoires inspirantes, aussi bien de start-up que de CEO de holdings mondiales. « Malgré la différence d’âge, d’origine et de tâches accomplies, nous avions de nombreux points communs, à savoir la volonté et la détermination de faire la différence », conclut-elle.