Dans l’univers de l’hôtellerie de luxe, les designers belges se sont imposés comme des acteurs majeurs, apportant leur touche distinctive à de nombreux projets hôteliers à travers le monde. Michel Penneman, Joachim Froment et Lionel Jadot ont tous quelque chose en commun ; une vision unique, un savoir-faire et l’envie de raconter des histoires… Nous avons passé les portes de leur atelier.
Success & Stories
Derrière le nom Michel Penneman, se logent le Vintage Hotel (auparavant une seigneurie, transformée en un hôtel), le Scott Hotel (inspiré par l’univers des années 20 et de la prohibition), le Zoom Hotel ou encore l’hôtel Mgallery. « Chaque projet est une opportunité de raconter une nouvelle histoire, de créer un monde où les gens peuvent se sentir à la fois chez eux et transportés vers un univers différent, » partage Michel passionné. Son approche axée sur le récit se reflète dans chacun de ses projets, où chaque élément est soigneusement pensé pour susciter l’émerveillement et l’étonnement chez les occupants. « Je crois en une approche personnalisée, où chaque projet est façonné en fonction des aspirations uniques de ceux qui l’habitent, » affirme-t-il. « Je ne vends pas mon style, je m’adapte à celui des clients. »
Le projet de rénovation de l’hôtel Mgallery en est un bon exemple : « C’est un assez grand hôtel, 165 chambres. Le nom est passé de Sofitel à Mgallery, plus tendance. Je devais donc faire quelque chose ‘de branché’ et en même temps avec une rigueur dans la réalisation puisque c’est un 5 étoiles, » partage-t-il. Pour ce projet, Michel a travaillé avec du bois massif, des matériaux nobles et des cuirs, créant une ambiance sophistiquée et chaleureuse. « Le fil conducteur c’est la combinaison de la ville et des jardins. Quand on rentre dans l’hôtel, on est dans le brouhaha de la ville. Derrière l’hôtel, on a une cour intérieure qui est extrêmement calme et paisible. Et donc on a coloré les façades, côté rue, avec des touches de rouille et on a coloré les façades, côté jardin, avec des touches de vert. »
Michel n’hésite pas non plus à collaborer étroitement avec ses clients pour créer des expériences uniques, comme en témoigne son travail avec le Zoom Hotel. « Pour le Zoom Hôtel, les clients sont venus chez moi, et m’ont demandé un hôtel axé sur la photographie, ce n’est pas du ‘jamais vu’ mais ils voulaient quelque chose de spécial… » partage-t-il. Cette approche collaborative permet de créer des espaces qui sont à la fois innovants avec un sens du storytelling incomparable… « J’ai donc proposé à des inconnus de partager des photos de Bruxelles. On a reçu des photos de majorettes, de la Grand-Place, d’un chien devant une vitrine, etc. On en a choisi quatre-vingts. Les auteurs des photos, des inconnus, ont été invités à l’ouverture de l’hôtel, on leur a offert une nuit gratuite et ils ont pu signer leur photo. Grâce à cette histoire d’hôtel participatif, on a eu une presse énorme sans forcément de grands moyens. Nous ne sommes pas vraiment des décorateurs, mais plutôt des créateurs de petites histoires. »
Michel Penneman, en quelques chiffres, c’est : plus de 30 ans d’expérience dans le domaine de l’architecture d’intérieur, depuis ses débuts en 1987. Environ 3000 projets réalisés au cours de sa carrière. Une équipe composée de 4 personnes travaillant au bureau, avec 8 personnes extérieures collaborant sur chaque projet. Un chiffre d’affaires annuel d’environ 500 000 €, principalement basé sur des services. Un coût moyen par projet variant de 1200€ à 3500€ par mètre carré, en fonction de la complexité et de la nature du projet. Une présence internationale avec des projets réalisés à Londres, Paris, Jérusalem, au Rwanda, au Luxembourg, entre autres, bien que la majorité de son activité reste concentrée en Belgique.
L’organique technologique
Joachim Froment incarne la fusion entre tradition artistique et innovation contemporaine. Son parcours professionnel, débuté dans un studio à Copenhague, l’a conduit à créer Futurewave, une agence de création et d’innovation qui s’est imposée comme un acteur majeur du design belge innovant. Avec une approche axée sur la durabilité et l’innovation, Joachim repense le luxe en valorisant les matériaux et les processus de fabrication, comme en témoignent ses projets primés tels que la lampe torsadée Knit et la 0.6Chair, alliant légèreté et durabilité. Il souligne : « Il faut créer une nouvelle expérience presque immersive, mais dans lequel les personnes se sentent bien, apaisées, tranquilles. » Sa vision du design, centrée sur l’émotion et l’expérience sensorielle, trouve un écho particulier dans le secteur de l’hôtellerie, où chaque création vise à offrir une expérience immersive et durable aux clients.
Collaborant avec des marques telles qu’Adidas ou Off White ou des établissements prestigieux comme le Danfoss au Danemark ou le MIX à Bruxelles pour qui il a fourni environ 300 chaises de la gamme « In layer« . Ces chaises, produites et assemblées en Belgique, qui sont conçues pour les espaces commerciaux et offrent une grande polyvalence grâce à un système de textile interchangeable, et qui sont accessibles à tout projet hôtelier qui pourrait les trouver adaptées à leur esthétique et à leurs besoins pratiques. Joachim apporte une polyvalence et une durabilité recherchées dans l’hôtellerie haut de gamme : « J’essaie de toujours trouver une manière d’apporter le durable dans ce schéma. Même s’il n’est pas toujours essentiel pour le luxe… J’accorde un soin particulier au matériau qu’on choisit. »
Inspiré par les traditions artistiques belges ainsi que par les influences danoises, italiennes et japonaises, Joachim crée des objets sculpturaux aux formes organiques et minimalistes, incarnant un luxe intemporel et émotionnel. « Je suis basé surtout à Bruxelles. Ma compagne est danoise. Pour moi ce sont des sources d’inspiration différentes. Au Danemark, on assume ce côté très naturel. C’est la sensibilité des formes organiques et du travail artisanal à travers l’industriel, c’est une culture du design et de l’artisanat très riche. Ils ont une relation très humaine avec le produit. En Belgique, on a une forte tradition et un héritage ancré dans la démarche artistique. Nous avons des grands artistes et le design collectif est très fort aussi chez nous. On a cette charge artistique et émotionnelle très puissante. C’est intéressant de puiser dans les partenaires industriels que je peux voir ici en Belgique, et les artisanats très consciencieux au Danemark, » souligne Joachim.
Malgré ses nombreux prix et son succès international, Joachim reste ancré dans ses racines belges. Cette connexion enrichit sa démarche créative et renforce son engagement envers la durabilité et la qualité. Avec Futurewave, il poursuit son exploration de nouveaux horizons, tout en restant fidèle à sa vision du design durable et émotionnel. Son engagement envers l’innovation et la qualité contribue à façonner l’avenir du design belge et à créer des expériences uniques et mémorables pour les clients du monde entier…
Sur le plan financier, Futurewave a réalisé un chiffre d’affaires annuel de 1,6 million d’euros en 2023, enregistrant une croissance significative depuis sa création il y a quatre ans. Passant de 3 à 20 employés, l’entreprise est rentable depuis sa première année. Avec environ 15 projets réalisés chaque année, Futurewave prévoit d’atteindre entre 25 et 30 projets annuels dans un proche avenir. En termes de budget, les projets signés Joachim Froment varient en moyenne entre 10 000 et 100 000 € pour la partie design seule, sans compter les coûts matériels.
L’anti-Pinterest
Lionel Jadot incarne l’audace et la créativité depuis maintenant 34 ans. Petit, il construisait déjà ses propres jouets en bois à partir des déchets de l’atelier familial. Autodidacte et curieux de nature, son parcours (professionnel) atypique, débuté à l’âge de 19 ans, l’a conduit à une exploration constante de nouvelles idées et de nouvelles approches. Dix ans plus tard, il lancera sa société : l’Atelier Lionel Jadot. « Pour moi, le design est avant tout une aventure. Chaque projet est une opportunité de repousser les limites de ma créativité et de créer quelque chose de vraiment unique, » confie-t-il. Aujourd’hui il a rassemblé 32 ateliers concurrents dans son hub créatif : Zaventem Ateliers, avec qui il gère une vingtaine de projets, en moyenne, chaque année. Son engagement envers le collaboratif, l’artisanat et l’innovation se reflète dans chacune de ses créations, où le souci du détail et la recherche de l’authenticité sont omniprésents.
Dans une industrie où la norme est souvent synonyme de conformité, Lionel défend une approche non conventionnelle et ouverte à l’expérimentation. « Je crois en l’importance de sortir des sentiers battus et d’explorer de nouvelles perspectives. C’est là que réside la véritable source d’inspiration, » affirme-t-il. Cette philosophie audacieuse se traduit dans ses projets, où l’originalité et l’émotion sont au cœur de chaque création.
Lionel accorde également une grande importance à l’authenticité et à la durabilité dans son travail. « Pour moi, il est essentiel que mes créations aient un impact positif sur l’environnement et sur la société dans son ensemble. C’est pourquoi je privilégie l’utilisation de matériaux durables et le soutien aux artisans locaux, » explique-t-il. Cette approche éthique se reflète dans des projets tels que le MIX (beau bébé de 25 000 m²). Dans ce projet ambitieux, Lionel a rassemblé ses 32 ateliers concurrents, démontrant ainsi sa capacité à repousser les limites et à créer des expériences uniques… « Le MIX représente beaucoup pour moi. Il s’agit d’un projet très ambitieux, qui illustre mon approche et mon état d’esprit envers l’hôtellerie contemporaine. Nous avons réussi à combiner intensité et honnêteté tout en reflétant l’engagement de tous les artistes et les designers, qu’on a intégré, à raconter une histoire qui est vraie. Dans le paysage hôtelier, c’est rare. En général, on tombe dans quelque chose de commercial. Ici on voulait quelque chose de personnalisé. »
Le Jam à Lisbonne, est un autre projet, pour une catégorie 3 étoiles, où Lionel a également travaillé pour créer une ambiance et une expérience spécifiques : « Nous avons utilisé des matériaux locaux pour la construction des sols en marbre et des lits en bois, avec celui de la forêt d’à côté qui avait malheureusement brulé. Une belle approche éco-responsable dans l’aménagement d’un hôtel. Nous cherchons toujours à créer une magie en racontant une histoire spécifique. Nous prêtons aussi beaucoup d’importance à l’harmonie entre l’intérieur de l’hôtel et son environnement extérieur. »
Mais ce n’est pas tout, Lionel a également lancé un concept de coliving développé avec Cohabs, une marque présente dans plusieurs villes à travers le monde, gérant près de 3000 lits. Bien que ce ne soit pas un hôtel traditionnel, le projet de coliving implique la transformation d’anciens bâtiments, y compris des hôtels de maître, en espaces communautaires résidentiels. « Ces espaces sont conçus par moi et mon équipe pour offrir une expérience de vie cohérente et créative, » ajoute-t-il.
Lionel est donc réputé pour la personnalisation, l’authenticité et la cohérence avec l’environnement local de chaque projet hôtelier. Et ce talent a un prix, même si Lionel n’est pas un homme de chiffres, dit-il : environ 2000€ par mètre carré pour la réalisation d’un projet hôtelier. Malgré tout, il évoque également son intérêt pour les hôtels familiaux traditionnels qui offrent une expérience typique : « Je préfère aller dans des lieux qui ne sont pas spécialement réfléchis. Comme des hôtels de famille qui n’ont pas changé depuis 50 ans avec du vieux mobilier, les mauvaises couleurs, le mauvais éclairage, mais par contre énormément de générosité derrière pour bien vous accueillir… Je me sens mieux dans ce genre de lieux. » Une chose est sûre, sa capacité à repousser les limites de la créativité et à créer des expériences uniques contribue à façonner l’avenir de l’industrie et à inspirer les générations futures de designers et architectes d’intérieur.
Photo : Lionel Jadot ©Tim van de Velde, Michel Penneman ©Mireille Roobaert et Joachim Froment.