Entité d’économie mixte, Art Dubai, la grande foire d’art du Golfe arabo-persique, s’adosse à la richesse de la région et à la créativité du Sud Global.
Dubaï et Abou Dhabi, respectivement métropole et capitale des Émirats Arabes Unis, comptent parmi les villes à la croissance la plus rapide du monde. En 17 ans, Art Dubaï est devenue la première foire d’art de la région. Elle attire cette année 120 galeries, dont 65 % de la région. Elles ont un ancrage continental africain, comme la jeune Efie Gallery (fondée en 2021 à Dubaï par trois Ghanéens, Valentina, Kwame et Kobi Mintah) ou Golfe-Occident, comme Lawrie-Shabibi (fondée en 2011 par l’Anglais William Lawrie, ancien de Christie’s Dubai et la Dubaïote Asmaa Al-Shabibi, issue du droit de la finance).
Art Dubaï s’ouvrait cette année une semaine après la première biennale de design au Qatar, Doha Design (jusqu’au 5 août), qui atteste de la fécondité des courants du design dans la région MENASA (Moyen-Orient – Afrique du Nord – Asie du Sud-Est), avec des artistes très imprégnés de la situation géopolitique au Proche-Orient.
Art Dubaï a une directrice exécutive italienne, Benedetta Ghione, ancienne spécialiste de l’arte povera chez Sotheby’s Londres, et un directeur artistique espagnol, Pablo del Val, ancien directeur de la foire d’art contemporain ZONA MACO à Mexico. La foire compte quatre sections (Contemporary, Art Dubai Modern, Bawwaba, Art Dubai Digital) dont les curateurs sont européens ou américains. Pour Art Dubai Modern (l’art postérieur à 1940), Christianna Bonin, formée au MIT, est professeur adjoint d’histoire de l’art à l’Université américaine de Sharjah (EAU). Pour Bawwaba (La porte), consacrée aux œuvres très récentes d’artistes du Sud, sur le thème sanación/healing (guérison), le curateur Emiliano Valdes présente cinq lauréats de 3 continents : Mirna Bamieh (Palestinienne de Jérusalem), Cecilia Bengolea (Argentine), Hashel Al Lamki (Dubai), Sajan Mani (Inde), Debashish Paul (Inde) et Mithu Sen (Inde).
Enfin, depuis 2022, la section Art Dubai Digital déploie tout ce qui touche à l’IA, à la VR, aux NFT. Cette troisième édition est pilotée par Auronda Scalera et Alfredo Cramerotti, codirecteurs de l’IAM-Infinity Art Museum, premier musée du Métavers basé au Royaume-Uni. Parmi les pièces, la splendide série digitale de la Canado-coréenne Krista Kim, Mirrors of the mind (Unit Gallery, Londres), allie la méditation et la haute techno digitale.
Du Sud au Nord et vice-versa
Ces artistes s’emparent souvent de matériaux bruts chargés d’histoire. Parmi les galeries dubaïotes, Efie Gallery proposait le grand Ghanéen Al-Anatsui (présent dans la collection permanente du Guggenheim de Bilbao), l’une des plus grosses ventes de la foire avec The Bend in the River, adjugé 550 000 euros à un collectionneur basé à Dubaï, les figures élancées en métal et bois (des morceaux de traverses de voie ferrée) de l’autodidacte Kenyane Maggie Otieno (Sojourners Series) ou le Ghanéen Yaw Owusu. Formé au Ghana et aux USA, il a transformé des pesewa, monnaie introduite par le Ghana en 2007, dévalorisées par l’inflation, frappées par la Monnaie royale canadienne (Monnaie royale du Royaume-Uni), l’ancienne puissance coloniale du Ghana, en tapisserie sculpturale (To believe) inspirée de cartes d’archives d’exploitation minière.
Lawrie Shabibi fait partie des galeries à double ancrage londonien et dubaïote installées début 2011 dans le quartier d’entrepôts très moderne d’Al Quoz, Alserkal Avenue, plaque tournante de l’art contemporain local. À Art Dubaï, elle expose aussi la Pakistanaise Hamra Abbas, qui cisèle à la main des blocs de lapis-lazuli sur marbre aux motifs abstraits inspirés du K2, qu’elle a escaladé (Mountain, 2023).
Quant à Leila Heller, elle a eu le parcours inverse. Depuis l’ouverture de sa galerie en 1982 à New York, elle s’est forgé une renommée mondiale de pionnière des échanges entre artistes occidentaux et du Moyen-Orient et d’Asie (elle représente aussi le Belge Wim Delvoye). En 2015, elle a ouvert dans Alserkal Avenue la plus grande galerie des Émirats Arabes Unis, où elle présente notamment une rétrospective du grand maître du verre soufflé, l’Américain Dale Chihuly.
Deux galeries belges sont de cette édition : la jeune Stems (Bruxelles), présente depuis 2021, et l’une des majors belges, Maruani-Mercier (Bruxelles, Knokke). Laurent Mercier définit son attrait pour Art Dubaï : « À Dubaï, l’intérêt pour l’art engendre quantité de fondations privées [comme la Bassam Freiha Art Foundation (BFAF), dans le prestigieux Saadiyat Cultural District, ouverte le 3 mars par le diplomate et philantrope Bassam Freiha, Ndlr], ce qui dope ce marché. L’opulence se tournait d’abord vers certains signes extérieurs de richesse : voiture, bijoux, mode et grande maison. Mais les murs de cette grande maison ne peuvent rester vides… ».
« C’est notre troisième Art Dubai. En un sens, la foire et la ville sont comparables à la situation de Miami quand Art Basel y a créé sa foire en 2002. Ici, tout change vite. Une évolution majeure est venue des Russes installés ici pour éviter le gel de leurs avoirs suite aux sanctions occidentales. Une partie est allée en Israël, l’autre ici. Certaines galeries ont une double présence entre Dubaï et l’Occident. Nous ne l’envisageons pas, sauf si nous trouvons le bon partenaire… et si le gouvernement belge confirme le passage de la TVA sur les œuvres d’art de 6 à 21 %. L’importante clientèle expatriée compte notamment des entrepreneurs belges, qui connaissent nos artistes et le monde de l’art. »