Avec leurs sept établissements disséminés à travers Bruxelles, il est impossible ou presque que vous ne vous soyez pas attablé au moins une fois pour siroter leur Basil Smash ou goûter leur pain libanais toasté garni de halloumi et de crème à l’ail. Oui, Axel Van Tuijn, Bruno Bogaert et Chuck Bindels sont partout. Leur Compagnie ABC fêtera ses 10 ans ce 1er janvier 2025. L’occasion de revenir sur cette success-story belge qui a du cran.
Un nouvel établissement par an (ou presque)
« Tout a commencé le 1er janvier 2015, lorsque l’on rachète le Bar du Marché il y a dix ans », explique Axel Van Tuijn, l’un des trois cofondateurs. « On a démarré avec une reprise de fonds de commerce qui représentait un investissement de 320 000€. À l’époque, on s’est davantage associés par feeling qu’à l’issue d’un grand brainstorming. On était potes, et on avait envie de faire des choses. Le projet a ensuite pris une tout autre dimension en 2016, avec la reprise du Coco, devenu le Café Luxembourg. Là, on se demande ce qu’on va faire. Un troisième ? Quelle est l’ambition et pourquoi ? Ce sont les prémisses d’une réflexion plus profonde et le début d’un vrai projet d’entreprise ». La machine est lancée. Ils reprennent le Bar du Matin sur la place Albert en 2017. En 2018, ils créent le Café Tulipant à partir d’un petit café abandonné sur la place Fernand Coq. Ils font pour la première fois appel à une vraie équipe d’architectes d’intérieur pour recréer complètement l’endroit. « On commence alors à fixer nos critères, avec des descriptifs de plus en plus précis en termes de typologie des lieux, de quartiers, d’ambiance… ».
Leurs trois principaux critères ? Le type de quartier et l’environnement local d’abord. « L’aspect ‘nuisances sonores’ est devenu notre priorité, surtout après le Covid, on préfère les places fréquentée aux rues résidentielles », précise Axel. Deuxièmement, l’agencement du bâtiment. Quelle est la surface intérieure ? L’exposition au soleil ? La surface de la terrasse ? Combien de places assises ? Troisième critère et pas des moindres, le prix. Faut-il prévoir des aménagements ? Quelle est la réputation ou la notoriété du lieu ? Création totale ou reprise d’un lieu avec une identité déjà très forte pour un projet de continuité ?
Savoir réadapter son modèle
La Compagnie ABC possède désormais trois adresses, quand le Covid décide de s’inviter à la fête. Très tôt, Axel, Bruno et Chuck font le pari pessimiste d’un deuxième confinement et décident de modifier complètement leur modèle d’exploitation. « On ouvrira désormais tous nos bars à partir de 16h seulement, à l’exception du Bar du Matin », explique Axel. « C’est ce qui nous a sauvés. On a condensé nos horaires pour créer plus de volume sur moins d’heures, sans investir plus. On s’est ainsi créé un petit trésor de guerre pour passer la deuxième vague ». Un modèle qu’ils ont décidé de garder par la suite. En 2022, le groupe rachète Dinghi qui a pignon sur rue dans le quartier du Châtelain. Et en avril 2023, ils reprennent le fonds de commerce du Café Flora et mettent pour la première fois un pied à Saint-Gilles. Fin de l’année dernière, ils reçoivent un coup de fil inattendu des proprios d’une autre institution bruxelloise, Chez Franz, qu’ils rouvrent après quelques menus travaux en août 2024.
Ils rentrent dans la foulée dans le Réseau Entreprendre Bruxelles pour s’offrir le même exercice d’introspection qu’ils s’étaient fait il y a dix ans. Ils décident de doubler leur rythme d’acquisition en passant de un à deux établissements par an et débutent des recherches d’alternatives aux acteurs bancaires classiques (business Angels, fonds de dette, Family office, financement public…) pour compléter leur besoin en capital. « L’ironie du sort, c’est que cette année, on passera plutôt d’un à zéro », s’amuse Axel. « Ce n’est pas par manque d’opportunités, nous n’avons simplement pas trouvé l’endroit qui remplit tous nos critères. »
Un chiffre d’affaires en continuelle évolution
Alors qu’en 2015, leur chiffre d’affaires s’élevait à 675 000 euros, il grimpe jusqu’à 3,2 millions en 2018 puis 4,3 millions en 2019. Jusqu’à la chute attendue en 2020 et 2021, avec respectivement 1,7 et 1,8 millions de CA. En 2022, leur chiffre d’affaires remonte à 4,4 millions d’euros jusqu’à atteindre les 6,2 millions l’année suivante. Pour 2024, ils estiment terminer l’année à 9 millions d’euros de chiffre d’affaires. Une marge de progression colossale. Chaque nouvelle adresse est financée grâce à des fonds propres – avec un apport de 20 à 25% par projet -, complétés par des dettes bancaires. En considérant une fourchette de coût pour chaque acquisition de 600 000 à 800 000 euros, ça donne 120 à 160 000 euros de fonds propre par bar. Chaque nouvelle adresse se finance ainsi en partie grâce aux revenus des autres bars, le reste est emprunté à la banque. « L’HoReCa étant le premier secteur en faillite en Belgique, il faut savoir que l’on fait souvent face à des périodes de no-go des banques, avec des politiques qui changent chaque année ».
L’atout de cette « chaîne de bars » qu’ils ont fondé au fil des années, c’est bien sûr l’économie d’échelle. Leur pouvoir de négociation auprès de leurs fournisseurs augmente au fur et à mesure que leurs achats de produits augmentent. Si chaque adresse possède sa propre identité, une chaîne diversifiée avec des process internes similaires a été développée. Les employés sont recrutés et formés de la même manière, les cartes sont majoritairement similaires et les fournisseurs aussi. Ils ont également développé en labo des produits en marque propre, comme leur limonade maison ou leur célèbre Basil Smash. Une façon de conserver une qualité constante dans tous les bars tout en faisant un maximum d’économies. Finalement, dans un secteur en pénurie de personnel, la possibilité de transférer un employé (50% d’étudiants) d’un bar à un autre en cas d’imprévu est un atout considérable. « Notre enjeu, aujourd’hui, est d’améliorer notre taux de rétention en prolongeant le parcours de chaque équipier au maximum. Pour le moment, le turnover n’est que de 10 mois, on aimerait le pousser à 12. Outre le coût d’acquisition, c’est aussi le meilleur moyen de conserver la qualité du service ».
Vers une plus grande durabilité
L’autre challenge ? L’engagement dans le développement durable. L’entreprise a fait appel à Sami, une start-up française qui a créé des outils de mesure de l’empreinte carbone adaptés aux PME. Un investissement de 10 000€, qui comprend le coût d’accompagnement sur un an, avec à la clef d’autres coûts comme l’installation de détecteurs de mouvements dans les caves pour éviter le gaspillage d’électricité, ou encore l’installation de panneaux photovoltaïques sur le toit du Bar du Matin, un investissement de 25 000€. En prévision de mesures politiques futures ? Pour le moment, seules les grandes entreprises sont tenues de tenir une comptabilité carbones, ce n’est pas encore le cas des petites et des moyennes. Si l’entreprise ne communique pour l’instant pas sur ces mesures durables, elle sensibilise à travers des actions anecdotiques comme un « Summer burger » à base de guacamole de petits pois ou un concours pour gagner un vélo électrique lors de la Journée sans voiture.
Le secret de leur succès ?
Avec huit nouvelles adresses ouvertes en 10 ans et zéro fermeture au compteur, la Compagnie ABC affiche une vitalité notable. Il suffit de se rendre sur la Place Flagey, Fernand Cocq ou Albert pour constater que malgré le contexte d’inflation, les terrasses sont bien remplies. Mais comment expliquer la recette d’un tel succès ? « Ce qui fait la force du groupe, je pense que c’est sa cohérence. Nous sommes restés spécialisés dans le café bar, sans jamais prétendre devenir des bars ou des cafés de spécialité ou une adresse mono produit. Nous n’avons jamais dérogé à nos critères. On mise tout sur l’expérience client en proposant une ambiance moderne, de la musique agréable, des assiettes au goût du jour… mais sans nous positionner comme les précurseurs dans quoi que ce soit ».
Quand on interroge Axel sur le premier conseil qu’il donnerait à un entrepreneur qui veut se lancer en 2025 et pas en 2015, le constat est sans appel : très bien s’entourer, aussi bien du côté de ses associés que de ses prestataires. Ensuite, se fixer des objectifs clairs et réalistes avant de se lancer. La question à se poser : Quel manque mon adresse va laisser si du jour au lendemain elle disparaît ? Quelle est ma part d’utilité ?