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Philippe Boxho: La mort lui va si bien

et
Jérémie Claes

Le docteur Philippe Boxho a cinquante-neuf ans, il est liégeois et médecin légiste. Il a écoulé plus de huit cent mille exemplaires de ses trois ouvrages, dans une monde de l’édition belge en pleine déconfiture. Un succès colossal qui fait les affaires de sa maison d’édition, Kennes, qui était au bord du gouffre.

Philippe Boxho avec son éditeur Dimitri Kennes – © Kennes

Philippe Boxho aurait pu être curé ; il se destinait au séminaire et avait entamé le parcours classique d’un futur prêtre. Mais le destin en a décidé autrement : il assiste un jour à une autopsie et décide que ce sera cela, sa voie, celle de la médecine légale. « Ce qui me plaît, c’est la recherche de la vérité, faire parler un corps qui n’a plus rien à dire, puisqu’il ne parle plus. J’aime l’enquête, on sort du métier strict de médecin, d’une zone de confort, pour aborder la justice, pour rencontrer la police, c’est un travail en commun. J’aime bien l’idée d’apporter quelque chose dans cet univers. » 

« Ce qui me plaît, c’est faire parler un corps qui n’a plus rien à dire »

Mais comment en est-il venu à raconter son métier, à écrire des livres ? 

« C’est l’éditeur ! Ils ont vu une vidéo que j’avais tournée avec Eric Dragonnier où je racontais quelques anecdotes et qui a cumulé dix millions de vues. Ils se sont dit que c’était peut-être un filon à creuser. » De là à écrire ? « Au début, je n’étais pas chaud, je n’avais jamais écrit de ma vie, puis j’ai essayé, j’ai fait deux, trois chapitres que je leur ai envoyés. J’ai eu beaucoup de corrections, mais j’écris moi-même, je ne veux pas qu’on m’emmerde à écrire à ma place ! J’ai dû apprendre à écrire tel qu’on le souhaitait dans le milieu de l’édition. » Le premier bouquin, Les morts ont la parole, sort en juin 2022 et raconte des histoires réelles que le médecin enseignait déjà à ses étudiants. Le deuxième, Entretien avec un cadavre  sort l’année suivante à la même époque. Il espérait en vendre cinq mille, comme le premier, ç’aurait été une belle réussite, mais ce sont d’abord trente-cinq mille exemplaires qui s’écoulent, déjà un best-seller. Mais le phénomène, le vrai, démarre en janvier 2024 quand Philippe Boxho est invité pour la seconde fois sur la chaîne Youtube de Guillaume Pley, Legend. La vidéo est vue plus de cinq millions de fois, sans compter les reprises sur Tik-Tok et Facebook. Là, c’est le raz-de-marée, et ce seront au total plus de six cent mille exemplaires des deux premiers livres du médecin légiste qui s’écouleront. Les éditions Kennes ont déjà vendu deux cent mille exemplaires du troisième, La mort en face, paru en août dernier. Un véritable phénomène, qui fait sans doute de Philippe Boxho le plus gros vendeur de livres belge, devant Amélie Nothomb par exemple. Il faut savoir que le tirage moyen d’un livre, en France, est de cinq mille exemplaires.

Comment cela s’est-il passé ? 

« Les petits jeunes en ont parlé à leurs parents, les parents aux libraires, et les libraires au distributeur. » L’emballement se poursuit : « Chaque fois que Philippe apparaissait dans les médias, c’était repris par les réseaux sociaux », explique Dimitri Kennes, son éditeur, « et amplifié par les algorithmes. C’était de la folie. » 

Une folie salvatrice pour Kennes Éditions qui était littéralement en faillite, en pleine PRJ (procédure en réorganisation judiciaire). À cinquante-deux ans, Dimitri Kennes, cet ancien de Solvay, semble revenu de tout : « J’ai dirigé Dupuis, ensuite j’ai repris Kid Paddle avec Midam au sein de Mad Fabrik, et enfin, j’ai créé Kennes Éditions. Mon distributeur, depuis toujours, c’est Hachette, qui nous offre l’ouverture au marché français. Nos plus grosses ventes, c’était une série de romans jeunesse québécois de Catherine Girard-Audet, La vie compliquée de Léa Olivier. On en a vendu plus d’un million en dix ans. Mais lors du confinement, les jeunes se sont tournés massivement vers le manga et notre activité a décliné. En 2020, on a dégringolé. On a essayé de se diversifier, en créant une collection de non-fiction adulte et belge. Philippe Boxho en faisait partie. Le COVID, ça a été une période noire, on fonçait dans le mur, j’épuisais mes liquidités. Trop de personnel, trop de stock. Le groupe Delcourt est intervenu, mais on a juste gagné du temps. On était proches de la faillite. Delcourt nous a lâchés. Je comprenais. » 

© Kennes

« En cas de nouvelle faillite dans les trois ans, nous étions personnellement responsables »

Dimitri Kennes enchaîne : « Malgré la mise en garde du tribunal de commerce, ma femme et moi avions décidé de reprendre nous-mêmes la société. En cas de nouvelle faillite dans les trois ans, nous étions personnellement responsables. Le risque était important et on en a discuté en famille. » Dimitri et Sophie Kennes reprennent les rênes fin décembre 2023, et les ventes explosent en janvier et février 2024. Un miracle. « Je n’avais presque pas de stock, reprend l’éditeur, et il fallait réimprimer, par dix mille d’abord, par vingt mille ensuite. Nous n’avions plus d’argent, plus de trésorerie. On a gratté les derniers sous. » Heureusement, comme depuis toujours, leur distributeur, Hachette, les soutient dans cette nouvelle aventure. 

© Kennes

Il se vendra 310 000 exemplaires du premier tome, 295 000 du second et, 200 000 du troisième qui n’est sorti qu’en août. « À la fin de l’année, au total, on devrait parvenir au million, conclut Dimitri Kennes. « Je dois payer toutes les réimpressions à l’avance, je sors d’une faillite, plus personne ne me fait confiance », s’amuse-t-il. « On gère ça au mieux, nous ne sommes plus que deux, plus des indépendants, mais nous sommes sortis d’affaire. L’un de nos fils nous a rejoints. »

Susanna Lea, la plus grande agente franco-américaine, celle de Marc Lévy notamment, s’occupe des droits étrangers et audiovisuels de Philippe Boxho. Des traductions dans une dizaine de langues sont prévues. Plusieurs producteurs se disputent les droits d’adaptation mais rien n’est encore signé : ce sera au plus offrant. 

Mais comment Philippe Boxho vit-il cet incroyable succès ? 

« C’est une expérience géniale, mais je vis tout à fait normalement. Ça m’amuse. J’ai l’habitude de mener plusieurs vies en même temps, médecin légiste, expert judiciaire, président du département de criminologie, président de l’Ordre des Médecins, j’ai tout fait, ça ne me gêne pas. Tant que ça ne m’ennuie pas. Ce jour-là, je claque la porte ! » Envisage-t-il un autre éditeur ? Pas le moins du monde : «  Je ne bougerai pas de chez Kennes. Je suis un type loyal. » 

© Kennes

Quelle sera la suite ? Un polar ? 

« Non ! Dans la fiction, tu es coincé par ce qui ‘sent’ le réel. Dans la réalité, les gens ont une imagination sans borne. Si je raconte ça dans une fiction, on ne va pas me croire. Je n’ai aucune imagination. » Le quatrième volume s’inscrira donc dans la continuité. « Ça parlera du cerveau qui se trouve au plafond de la Chapelle Sixtine, du Linceul de Turin, de l’affaire des poisons. Des anecdotes historiques. J’ai déjà huit chapitres en tête, je n’ai plus qu’à les écrire. » Encore faut-il trouver le temps. Philippe Boxho et Kennes Éditions ont plus de cent demandes par jour pour des interventions et des conférences. Ils envisagent de créer une fondation et de verser les revenus de ces conférences à des œuvres caritatives. 

Dimitri Kennes et Sophie Vervonck, son épouse, poursuivent l’aventure en famille, l’âme un peu plus sereine, des projets plein la tête.

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