La société belge Artcrush.Gallery expose des œuvres d’art, de façon permanente, sur un millier d’écrans, dans l’espace public du pays et sur 12 000 autres dans le monde. En visant les 100 000 fin 2026. Son CEO, Mathieu France, en dévoile les rouages.
C’est comme jouer Mozart, dehors, dans la rue. Sauf que c’est du Mozart pour les yeux. Des sculptures, des peintures, des dessins, des photos, du classique, du contemporain, du digital… D’artistes illustres, disparus ou non, et à la renommée en devenir. De Belgique ou d’ailleurs. Depuis octobre dernier et son deal avec la régie publicitaire Clear Channel, Artcrush Gallery les expose non-stop dans tout l’espace public du pays. Sur un millier d’écrans digitaux, petits et grands formats, disséminés dans les gares, aux arrêts de bus, à l’entrée des stations du métro bruxellois et le long des routes.
« On est déjà la plus grande galerie exposant dans l’espace public au monde »
Créée l’été 2022, la société belge a d’abord tâté le terrain en exposant de l’art au grand public plutôt façon one shot : sur écran géant à Time Square, à New York, sur un mur de Paris, sur une façade à Gand, sur des panneaux d’affichage à Bruxelles, Londres, en Australie, en Corée du Sud… Depuis un an, avec le réseau Clear Channel, et dès cet automne, avec des accords pour occuper 2 500 écrans au Brésil, 6 000 en Indonésie, 500 en Espagne et au Portugal, 140 à Hong-Kong et 3 000 aux Pays-Bas, Artcrush propose des œuvres sur plus de 13 000 panneaux digitaux dans une quinzaine de pays à travers la planète. « Et l’objectif est d’arriver à 100 000 fin 2026 », pose, calmement, son CEO, Mathieu France, 50 ans. « Sachant qu’on est déjà la plus grande galerie exposant dans l’espace public au monde, qui démocratise l’art et dont le concept est révolutionnaire ».
1 million 500 000 passages par artiste
Révolutionnaire sur deux plans. « La permanence et l’impact. » La permanence, parce que, « depuis la création de l’affichage de type abribus, dans les années 1950, par feu Jean-Claude Decaux, il y a toujours des artistes qui pouvaient, parfois, exposer sur les panneaux. Or, avec Artcrush, c’est tout le temps, tous les jours et partout ». L’impact, ensuite, parce que « la quantité d’écrans et leur part de visibilité – parfois 10 %, parfois 40 % – sont énormes : en Belgique, on a donc de l’espace disponible sur un bon millier de panneaux, d’au moins 2m2 ; chaque panneau passe à peu près 1 500 fois un artiste par semaine ; sept artistes différents sont exposés par semaine ; donc vous avez 10 500 000 passages, de six secondes, entre les publicités, pour l’ensemble des sept artistes exposés chaque semaine dans les écrans en Belgique ».
Concrètement, quand un partenariat est noué avec une société d’affichage, Artcrush – qu’on pourrait traduire en français par Un béguin pour l’art – lui livre chaque mois des œuvres, avec leurs droits d’exposition, d’une trentaine artistes, sélectionnés par Brian Beccafico, qui a dirigé la cellule des arts digitaux de Sotheby’s et qui est l’un des trois fondateurs de la société belge, outre Mathieu France et Mathieu Bazelaire, cofondateur de l’agence digitale DogStudio.co et du KIKK, le Festival international des cultures numériques et créatives, à Namur. « Les œuvres sont issues de tout type d’art – danse et performance comprises –, pourvu qu’elles aient été ’’captées’’ en photo et vidéo. » La galerie à ciel ouvert a donc déjà proposé, chez nous, des artistes aussi différents que Jean-Michel Folon et Nicolas Party, plasticien suisse installé à New York. Donc, du moment que la question des droits soit réglée, ça pourrait être Magritte, Breughel, Hergé, Alechinsky ?
« On participe à raconter l’histoire des artistes contemporains, à construire leur carrière »
Comment entre l’argent
Dans chaque pays, la carte jouée est celle des artistes du cru – entre autres via « open calls », sur X (@artcrushgallery), pour que ces artistes envoient une œuvre, selon un thème par exemple, avant sélection. Mais pas que : « On leur offre l’opportunité d’être vus à l’international », appuie Mathieu France. « Il y a en tout cas, chez certains, un avant et un après Artcrush : parmi celles et ceux présents sur la plateforme d’art digital objkt.com, pas mal ne vendaient rien et ont vu certaines de leurs œuvres sold out après leur exposition. Maintenant, il y en a aussi pas mal avec lesquel(le)s on travaille qui sont déjà reconnu(e)s, comme Sasha Stiles, qu’on a exposée à Times Square, et pour lesquel(le)s l’exposition via Artcrush est une étape de plus, importante. En fait, on participe à raconter l’histoire des artistes contemporain(e)s, à construire leur carrière. En dehors des circuits standards, dont les portes sont très fermées. »
Pour autant, et le CEO a beau marteler à chaque interview sa « volonté de colorer la vie des gens d’extraordinaires manières », son projet n’est pas philanthropique. Comment rentre l’argent ? De trois manières. « D’abord, on est en train de constituer l’une des plus grandes collections d’art puisque certains artistes nous cèdent l’œuvre originale. On l’intègre à la collection en nous engageant à ne pas la vendre avant cinq ans. L’original peut être une œuvre digitale (un NFT, avec un seul exemplaire) ou physique (une peinture unique) et parfois les deux (une peinture et son NFT). Cette collection a une valeur dans laquelle nos investisseurs investissent. Ils investissent dans une société qui est propriétaire d’une collection à la valeur grandissante. »
Ensuite, « on fait des expositions grand public, où on est payé par des fondations, des institutions régionales, nationales ou européennes, privées, comme la Loterie nationale, des marques… ». Enfin, « on crée des expositions sur mesure pour des villes, des festivals, des entreprises, avec projection d’art, via l’autre branche de la société, Artcrush.Agency ». Résultat : sur les vingt premiers mois d’existence, 400 000 euros de chiffre d’affaires. Et l’intention de lever 1 500 000 euros d’ici à la fin de l’année. « C’est en bonne voie : fin août, on en était déjà à deux tiers du montant. » Mozart pour les yeux, au grand air, n’est pas près de s’arrêter de jouer.