Karen Corrigan, figure emblématique de la publicité et du conseil créatif, est co-founder, CEO et Strategic Director d’Happiness Anywhere, depuis bientôt 20 ans. Son parcours inspirant et sa vision innovante ont permis à son entreprise de se démarquer dans un secteur en constante évolution. À travers ses stratégies de marque et ses plateformes créatives à long terme, Karen s’efforce de transformer la manière dont les marques communiquent avec leurs audiences.
Happiness Anywhere, la structure dirigée par Karen, compte environ 150 employés répartis dans plusieurs agences créatives à Bruxelles, Saigon et Amsterdam, ainsi que des studios d’innovation en Belgique et au Vietnam. Cette organisation dynamique permet à Happiness de rester à la pointe de l’innovation et de répondre aux besoins de ses clients de manière efficace.
La philosophie de leadership de Karen repose sur une vision claire et partagée. Chaque année, lors de la journée « The State of Happiness », cette vision est communiquée à l’ensemble de l’équipe, définissant l’organisation, la structure et les rôles individuels, tout en traçant des parcours de croissance pour chaque employé. Découvrons les réponses de Karen Corrigan sur son métier, la gestion de son entreprise et sa manière de conduire ses équipes vers le succès.
Qu’est-ce qui vous a inspirée à choisir une carrière dans la publicité, et quels ont été les moments déterminants de votre carrière ?
Karen : Je suis régente en français, histoire et anglais, et je ne connaissais pas la publicité avant de rejoindre par hasard le département marketing de NIKE. Lors d’une réunion sur la campagne de la chaussure NIKE Air, j’ai découvert ma passion pour ce domaine et décidé de me former en publicité et marketing à Anvers pendant trois ans.
Ma carrière a été marquée par plusieurs étapes importantes. Chez Young & Rubicam, de 1989 à 1995, j’ai acquis une solide formation en tant qu’Account Executive, encadrée par des leaders inspirants comme Luc De Leersnyder. Ensuite, chez Ogilvy, de 1996 à 2001, j’ai dirigé la stratégie de communication pour des clients majeurs et développé le concept « Tout est Média ». Chez DDB, de 2002 à 2005, j’ai mis en place le concept de « Creative Management », où créativité et stratégie se rejoignent harmonieusement. Enfin, le lancement de Happiness en 2005 a été le moment clé de ma carrière.
Comment avez-vous réussi à établir une agence créative indépendante de premier plan ? Quels défis avez-vous rencontrés en cours de route ?
Karen : Lorsque nous avons lancé notre nouveau bureau, nous nous sommes demandé : « Si nous étions clients, qu’est-ce que nous n’apprécierions pas dans le fonctionnement des agences de publicité ? » Cette réflexion a guidé toute notre vision. Nous continuons à nous interroger chaque jour sur notre approche. Nous croyons fermement que la créativité, au sens large, fait toute la différence pour nos clients. Les médias évoluent, mais la puissance de la pensée créative reste constante ; il suffit de l’appliquer sans relâche.
La plus grande difficulté est de ne pas se laisser emporter par les nouvelles tendances qui peuvent créer de la panique, mais plutôt d’adapter et d’embrasser notre vision en les intégrant, tout en prenant les devants.
Vous avez récemment été nommée présidente de l’ACC. Quels sont les principaux objectifs que vous souhaitez atteindre dans ce rôle, et comment envisagez-vous de contribuer à l’évolution de l’industrie de la publicité ?
Karen : En tant que nouvelle présidente de l’ACC (Association of Communication Companies), mon objectif principal est de démontrer la valeur ajoutée considérable de notre métier pour les marques, les entreprises et même la société. Je veux prouver que la communication ne deviendra jamais une simple commodité.
Avec l’ACC, nous avons élaboré un plan d’action pour faire vivre concrètement les principales composantes de la valeur C.R.E.A.T.O.R.S. L’un des aspects essentiels est de réaffirmer l’importance d’une relation solide entre le client et l’agence, en montrant comment une telle collaboration peut réellement faire la différence.
Comment avez-vous surmonté les obstacles liés au genre au cours de votre carrière ? Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent atteindre des postes de haut niveau dans ce domaine ?
Karen : Le secteur de la publicité est encore largement dominé par les hommes, surtout dans les postes de direction. Pour surmonter les obstacles liés au genre, j’ai lancé la question suivante : « Les femmes ne sont-elles pas prêtes pour ce monde, ou ce monde n’est-il pas prêt pour les femmes ? » C’est une interrogation que nous explorerons davantage avec l’ACC.
Notre première étape a été de lancer le débat le 27 mai au sein de « De MediaMadammen », un réseau de femmes en postes de management dans les médias (agences média, agences de communication, annonceurs, etc.). Nous avons analysé les résultats de ce débat pour définir les prochaines étapes et promouvoir davantage la présence féminine dans les postes de haut niveau. SUITE ?
Avec la Sentiment Survey récemment publiée par l’ACC, nous avons vu que l’équilibre entre les sexes est encore loin d’être idéal dans les postes de direction. Comment pensez-vous que l’industrie peut améliorer cet équilibre, et quelles mesures recommandez-vous pour y parvenir ?
Karen : Je pense que cet équilibre s’améliorera naturellement avec la prochaine génération. Actuellement, de nombreuses femmes choisissent de se consacrer davantage à leur famille, ce qui complique la conciliation avec des postes de haut niveau. Dans un monde idéal, il serait possible de combiner une carrière de haut niveau avec des responsabilités familiales, mais la réalité exige souvent des sacrifices importants. Je suis un exemple vivant de ces sacrifices et je sais ce qu’il en coûte pour faire une différence. Peut-être que les femmes n’ont pas encore la possibilité de faire ces sacrifices dans leur situation familiale actuelle.
Cependant, on observe déjà que la génération montante, tant masculine que féminine, partage davantage les responsabilités familiales. Cela pourrait permettre à plus de femmes de poursuivre une carrière tout en s’occupant de leur famille. La question est de savoir si les femmes seront prêtes à déléguer ce rôle familial ou si elles auront confiance en d’autres pour s’occuper de leurs enfants. Tant que ce sentiment persiste, les choses ne changeront pas beaucoup.
Avec l’ACC, nous continuerons à surveiller cette situation, à la mettre en lumière et à prendre des mesures basées sur les résultats des débats en cours.
Comment utilisez-vous votre position pour encourager la diversité, l’équité, et l’inclusion au sein de votre agence et au-delà ?
Karen : Je ne crois pas en l’imposition de quotas ou de mesures forcées. Je privilégie toujours le candidat le plus compétent. Cependant, si deux candidats ont des compétences égales et que l’un d’eux est issu d’un groupe sous-représenté, je considérerai alors celui qui a besoin d’un coup de pouce dans notre société. Je ne force pas la diversité, mais je la soutiens activement parce que je crois fermement que la diversité est un atout. Travailler avec des profils variés enrichit l’équipe et permet des échanges plus riches.
Depuis le début, Happiness a intégré une grande diversité de nationalités, cultures et genres. Lors de la création de l’agence, nous étions déjà très diversifiés : une femme fondatrice CEO, deux fondateurs francophones, deux néerlandophones, un homme d’origine marocaine, une Écossaise et deux Belges, ainsi qu’une diversité d’âges. La diversité est inscrite dans l’ADN de Happiness.
La créativité est un pilier de votre travail chez Happiness Anywhere. Comment stimulez-vous la créativité dans votre agence et assurez-vous que vos équipes restent innovantes et dynamiques ?
Karen : Nous considérons que « Creative thinking that triggers business » est notre principal différenciateur et la force motrice de notre agence. Tout le monde sait que c’est ce qui nous permet de surpasser nos concurrents. Nos clients nous reconnaissent pour nos plateformes de marque créatives à long terme qui font vraiment la différence, et nous veillons à ce que cela continue.
Dans notre organisation, le département créatif représente 45 % de la masse salariale totale, ce qui montre que nous investissons sérieusement dans la créativité. Nous formons également tous nos employés pour qu’ils comprennent quel type de pensée créative est réellement impactant, grâce à des séminaires annuels où chacun, du comptable au directeur créatif, explique ses cas préférés du Festival de Cannes. Nous impliquons également nos clients dans ce processus pour les intégrer à notre vision créative.
Nous cherchons continuellement à transformer chaque membre de l’équipe en « creative addicts » à travers notre programme « Happy People ». Par exemple, nous avons organisé un voyage à la Biennale de Venise pour tout le bureau, avec des missions spécifiques comme analyser les concepts artistiques et rédiger des slogans pour nos clients. En résumé, « creativity is always on the agenda » chaque minute, chaque heure, chaque jour.
Dans un secteur où l’IA et la technologie jouent un rôle de plus en plus important, comment voyez-vous l’avenir de la créativité ? Pensez-vous que l’IA peut coexister avec la créativité humaine, ou y a-t-il des défis à relever pour garantir une utilisation éthique ?
Karen : Je suis favorable à l’IA, car elle simplifie et améliore de nombreuses tâches au sein d’une agence, et cette tendance ne fera que s’accentuer. Nous avons deux approches à cet égard. La première, « Beat AI », consiste en des projets où nous nous engageons à surpasser les capacités de l’IA. La seconde, « Abuse AI », se concentre sur l’utilisation maximale de l’IA pour mener à bien nos projets.
Ainsi, tout en exploitant les avantages de l’IA, nous restons attentifs aux défis éthiques pour garantir une utilisation responsable et bénéfique de cette technologie dans le domaine de la créativité.
Vous avez travaillé sur des campagnes non-profit, comme celle pour Bruxelles Mobilité, axée sur la sécurité routière. Quelle est la place de la créativité dans ces projets, et comment vous assurez-vous qu’ils ont un impact positif sur la société ?
Karen : Depuis le début, nous collaborons gratuitement avec Ouders van Verongelukte Kinderen (Parents d’Enfants Victimes de la Route – PEVR). C’est notre unique client non-profit, et c’est un projet personnel pour moi, suite à la perte de mon frère et de deux cousins dans un accident de voiture.
Aider à positionner OVK comme une organisation de lobbying influente dans les législations routières est l’une des plus grandes fiertés de ma carrière. La créativité dans ces projets est cruciale pour sensibiliser efficacement le public et influencer les politiques, afin de provoquer un changement positif et durable dans la société.
Au-delà de la publicité, quelles sont les causes ou les initiatives sociales qui vous tiennent à cœur ? Comment pensez-vous que les agences de communication peuvent contribuer à des changements positifs dans le monde ?
Karen : Au-delà de la publicité, plusieurs causes et initiatives sociales me tiennent à cœur. Comme l’a dit l’un de mes mentors, Bill Bernbach (le « B » de DDB), en 1964 : « All of us who professionally use the mass media are the shapers of society. We can vulgarize that society. We can brutalize it. Or we can help lift it onto a higher level ». Cette citation résume tout. Elle était vraie à l’époque et l’est encore plus aujourd’hui avec la montée des réseaux sociaux.
En regardant mes 35 années dans le métier, je constate que, d’un côté, rien n’a vraiment changé ; et de l’autre, tout est différent. Les agences de communication ont un pouvoir immense pour influencer la société et peuvent jouer un rôle crucial dans la promotion de changements positifs, en utilisant leur influence pour élever les débats et encourager des comportements responsables.